Euryale
Jacques Blondiau et Sarina nous parlent d’Euryale.
Vous fondez une nouvelle maison d’édition en Belgique et qui édite du fantastique. Comment est né ce projet ?
L’idée était que depuis Marabout, aucune maison d’édition ne s’est plus vraiment intéressée au fantastique. Nuit d’Avril en France était très prometteuse. Finalement, Jean Ray, Thomas Owen et consorts sont éparpillés de manière anarchique dans des maisons d’éditions diverses ou ne se trouvent plus qu’en occasion. Quand Michel Rozenberg a quitté Nuit d’Avril, il nous a proposé son manuscrit. Olivier Bidchiren, Ambre Dubois et Céline Guillaume ont fait de même. Frank Roger cherchait une maison pour publier ses textes en français. Alain Le Bussy nous a également contacté. On avait assez de « matériaux » pour se lancer dans l’aventure.
Parlez-nous de votre parcours. Comment est née l’idée de créer une maison d’édition ?
Je suis expert-comptable de formation. En 2002, j’ai tout laissé tomber pour ouvrir une librairie à Quiévrain, près de la frontière française. Je crois avoir compris que si un « petit » libraire veut survivre, il doit offrir autre chose que de la simple vente. Je me suis donc spécialisé peu à peu dans les « introuvables » et dans les petites maisons d’édition que les Fnac et grandes surfaces dédaignent. Service, rapidité et conseil, des atouts importants.
Sarina Livrizzi est bibliothécaire et comme moi, amoureuse des livres. Des goûts communs et de longues discussions ont renforcé notre amitié. On a grandi avec Marabout mais aussi avec NEO, la sublime maison d’édition fantastique des années 80. Quand Michel est venu nous voir, on s’est dit qu’on pourrait peut-être se faire plaisir et partager nos passions en publiant et rééditant certains auteurs. On a eu la chance de tomber sur un metteur en page hors pair et on a foncé.
Et pourquoi le fantastique ?
Sarina est très « vampire » et je suis un inconditionnel de Jean Ray, King et Lovecraft. Tous les grands maîtres du fantastiques sont quasiment introuvables : Meritt, Bloch, Jean Ray, Masterton, Owen. Quand aux jeunes auteurs, le genre a du mal à s’intégrer dans une maison d’édition actuelle. C’est donc par passion qu’on s’est orienté vers le fantastique.
Pour le moment, la fantasy prend une grande part du marché francophone, n’avez-vous pas peur d’être noyé dans la masse ?
Il est vrai que la fantasy a le vent en poupe. Mais on y trouve un peu tout et n’importe quoi. Tout le monde s’est engouffré dans la brèche comme une certaine littérature « esotérico-policière » après le Da Vinci Code. On a parlé du phénomène Harry Potter, quoique par bien des aspects, Potter soit plus dans le registre du fantastique que de la fantasy.
Je crois qu’il y a moyen de se distinguer en faisant du bon fantastique. Qui dit fantasy dit Bragelonne ou Mnémos. On dira peut-être un jour : qui dit fantastique dit Euryale. Un beau rêve et un beau challenge, non ?
Quels sont pour vous les meilleurs livres fantastiques ?
Si on devait jouer à : je pars sur une île déserte et j’emporte…., ce serait sans conteste Malpertuis de Jean Ray qui est de mon point de vue personnel un chef-d’œuvre. Le Dracula de Stocker a ouvert la porte à une construction littéraire tout à fait novatrice. Simetierre de King m’a énormément frappé étant adolescent. Je me souviens de cette description quasi insupportable du gosse qui lâche la main de son père et court vers le camion qui va l’écraser. King était au sommet de son art.
Sarina emporterait Le portrait de Dorian Gray de Wilde, les Récits fantastiques de Théophile Gauthier et Les Prédateurs de Strieber. On prendrait tous les deux les Contes fantastiques de Maupassant.
Votre premier auteur est Michel Rozenberg, un auteur belge qui n’écrit que des nouvelles, excellentes au demeurant. Pourquoi votre choix s’est-il porté sur lui ?
Par amitié d’abord. Michel m’a un jour contacté pour écrire la préface de l’édition française des Maléfices du Temps. On est devenus amis. Quand il s’est détaché de Nuit d’Avril, comme je l’ai dit plus haut, les éditeurs qu’il a contactés lui ont répondu qu’il n’était pas dans la « ligne éditoriale ». On a déjeuné un jour sur la Place de Bruxelles et il m’a confié son manuscrit, j’ai dit banco.
J’avais adoré Altérations déniché aux Editions du Colibri et Les Maléfices du Temps répondait tout à fait à l’image que je me faisais du fantastique « au quotidien » comme celui de Jean Ray. Je savais que je ne prenais pas grand risque.
Y a-t-il un directeur littéraire de prévu ? Si oui, qui ?
Sarina est directrice littéraire. Je lui donne le manuscrit pour une première lecture. Elle me donne son sentiment et fait les premières corrections. Je me fie entièrement à son jugement très « pointu ». Parallèlement, je fais lire le manuscrit à un ou deux lecteurs lambda pour voir la réaction « du public ». J’effectue ensuite une dernière lecture approfondie.
Vous êtes libraire je pense, cela vous aide-t-il pour créer une maison d’édition ?
Forcément, on est en terrain connu. J’ai toujours favorisé les petites maisons d’éditions qui ont parfois des trésors dans leurs collections. Ensuite, je suis un boulimique de littérature. Enfin, on apprend à connaître le goût des gens. Ce n’est pas comme être sclérosé dans un bureau à décider seul ou en petit comité si un livre plaira ou pas en se fiant à son jugement.
On peut dire : « ok, ça va marcher » ou « bof, je vois pas qui va lire ça ». C’est une démarche proactive beaucoup plus passionnante. Et puis, on peut faire passer le goût du public avant le sien. Sarina est aussi en contact permanent avec le public.
Comment va fonctionner votre maison d’édition ? Où allez-vous être distribué ? Quelle périodicité dans les publications ? Allez-vous faire des foires du livre ?
On compte sortir quatre à cinq livres par an. On veut se donner le temps de tout mettre au point et d’assurer un bon relais « média ». Alain Jourdan Leclercq va nous distribuer sur la Belgique et sur la France via la structure de la SDL La Caravelle. On est en pourparler avec le Canada où le fantastique francophone est très prisé.
Pour le dire franchement, on ne cherche pas à faire de l’argent mais à ne pas en perdre. On veut se faire plaisir, faire plaisir à nos auteurs et à nos lecteurs. Sarina et moi-même, ce qui nous guide, c’est la passion, pas le profit. Ca peut paraître bizarre dans notre monde moderne, mais comme on a déjà concrétisé un rêve, on essaie de le faire durer.
On sera présent à Gérardmer, fin janvier. Nos auteurs feront les foires qu’ils estimeront utiles. On les accompagnera dans la mesure du possible. On n’impose rien, à eux de voir.
Quels sont les prochains titres prévus ?
Les miracles du Temps d’Olivier Bidchiren est à la mise en page. Le sang d’Hécathe d’Ambre Dubois est relu. Il s’agit de la suite du Manoir des Immortels sorti hélas dans l’indifférence générale chez Nuit d’Avril. Au printemps, on a un « gros morceau » avec un recueil de Frank Roger, auteur néerlandophone déjà traduit en 27 langues et très curieusement assez peu en français.
Allez-vous uniquement publier des auteurs francophones ou des traductions sont-elles envisageables ?
Non, on a déjà Frank Roger. On voudrait republier du John Flanders mais là, il y a un gros problème de droits sur tout ce qui touche Jean Ray. Ce serait génial de republier du Robert Bloch.
Entretien avec Michel Rozemberg ici