Enigme de Givreuse (L’) - La haine surnaturelle
La Bibliothèque nationale de France inaugure une nouvelle collection, intitulée « Les Orpailleurs » ; elle est dédiée à ce qu’elle appelle ses « pépites littéraires ». Outre le présent volume, paraîtront, entre autres, Un chalet dans les airs d’Albert Robida et La grande panne de Théo Varlet.
Le grand Rosny est connu comme l’un des pères de la science-fiction, avec Jules Vernes et H.G. Wells, mais aussi en tant qu’auteur de remarquables romans et nouvelles préhistoriques. Le genre fantastique pur lui est moins accolé, et en voici deux exemples à savourer. L’énigme de Givreuse, de 1916, s’inscrit entre La force mystérieuse et Le félin géant. L’art de Rosny est à son apogée. En septembre 1914, deux hommes sont retrouvés sur le champ de bataille par des ambulanciers médusés : ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau ! Ils ne se connaissent pas. On les confronte à leur mère, puis à leur fiancée : elles ne parviennent pas à les distinguer. Et, seuls, « il leur venait une sorte d’épouvante, le sentiment d’une affreuse solitude ». On finira par leur forger une identité, ils seront Philippe et Pierre. Mais qui sont-ils ? Deux parties d’une seule personne ? C’est alors que Philippe rencontre Thérèse... Jusque-là, tout va bien, le roman passionne. Hélas, pourquoi faut-il qu’intervienne plus tard une explication du phénomène, explication un peu pesante, suivie par un épilogue décevant. Voilà qui est grand dommage. Le « fantastique expliqué » ne m’a jamais satisfait.
Au niveau du style, Rosny est toujours aussi fabuleux. Exemple : quand il parle de pierres taillées qui s’étalent au pied de falaises, il évoque un « tumulte muet ». Génial.
La très brève nouvelle La haine surnaturelle, toujours aussi bien rédigée, relève aussi du fantastique et, comme dans le roman qui précède, du thème du double. Un peu comme dans La chute de la maison Usher, Frédéric et Cécile Maldar, frère et sœur, vivent dans une sombre bâtisse. En pleine nuit, Frédéric se voit agressé. Par qui ? Par lui ? Il tue. « J’ai le pressentiment, répondit tout bas le médecin, qu’un autre double ne tardera pas à naître en vous, pour remplacer celui qui est mort ».
Deux beaux textes d’ambiance fantastique qui éclairent un autre volet du talent de Rosny Aîné.
J.H. Rosny aîné, L’énigme de Givreuse, suivi de La haine surnaturelle, Bibliothèque nationale de France 2017, ISBN 978-2-7177-2759-3, présentation de Roger Musnik, 164 p., 12, 50 euros