Histoire des lieux de légende

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Il n’y a pas d’écrivains aussi cultivés qu’Umberto Eco. Cet essai, qui nous en apporte une nouvelle preuve, est un véritable enchantement pour l’œil et l’esprit. « Ce livre est consacré aux territoires et aux lieux légendaires » (p. 7). Eco a bien soin de préciser qu’il ne s’occupera pas de lieux « inventés » tels ceux issus de romans, par exemple (le château du comte de Monte-Cristo, la maison d’Emma Bovary, - l’appartement de Bob Morane quai Voltaire ? etc). C’est ainsi qu’il n’y aura aucune allusion aux mondes issus de l’imagination de Lovecraft (Arkham), C. A. Smith (Zothique), Tolkien (la Terre du Milieu) ou tant d’autres auteurs de SF ou de fantasy. En ce sens, il s’écarte d’un autre ouvrage un peu similaire, celui d’Alberto Manguel et Gianni Guadalupi, le Dictionnaire des lieux imaginaires, paru en 1998 chez Actes Sud.

Chaque chapitre traite d’un ou plusieurs lieux, commentés par Eco qui les pare de leur contexte historique ou littéraire. L’ouvrage se termine, et c’en est un des aspects les plus passionnants, par la citation des textes originaux ayant donné naissance à la légende traitée. On a ainsi l’occasion de retrouver des textes essentiels, de la Bible à Borges. Prenons celui-ci, tiens : « Certaines particularités paraîtront, je n’en doute pas, prodigieuses et incroyables à beaucoup de gens. Qui, en effet, a cru aux Noirs de l’Éthiopie, avant de les voir ? Qu’est-ce qui ne paraît pas merveilleux, quand on en prend connaissance pour la première fois ? Combien de choses n’a-t-on pas déclarées impossibles avant leur réalisation ? ». Ce texte est extrait de... l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. N’est-il pas étonnant ?

Sous l’égide bienveillante d’Eco, le lecteur ira ainsi de découverte en découverte. Il faut enfin parler de la superbe iconographie, atout essentiel de l’ouvrage. Chaque page se voit illustrée de cartes, de tableaux ou de gravures, des temps anciens aux plus modernes. L’art témoigne ainsi de la profonde influence créée par ces lieux imaginaires sur la peinture, sources inépuisables de chefs-d’œuvre de toutes époques, des primitifs flamands jusqu’à Robida ou Magritte.

Eco entame son périple par des lieux bibliques : le royaume de la reine de Saba, celui des Rois Mages, du Prêtre Jean, ou, carrément, le Paradis terrestre. Un autre objet chrétien sera abondamment traité, celui du Graal et de sa localisation. En ce qui concerne précisément la question d’emplacement géographique, celle des continents légendaires devait être abordée : Atlantide, Hyperborée, Mu, Ys, ou ceux abordés dans l’Odyssée, mais aussi le Pays de Cocagne ou Alamut. Ce dernier, moins célèbre, est censé abriter le Vieillard de la Montagne et ses Assassins. Ce qui me donne l’occasion de citer cette jolie phrase de l’auteur, décrivant la « muraille naturelle, éblouissante de blancheur par grand soleil, azurée dans les crépuscules pourpres, pâle au moment de l’aube, sanglante à l’aurore, estompée, certains jours, au milieu des nuages, ou au contraire étincelante comme l’éclair » (p. 279). L’Utopie de Thomas More, Agartha, la terre australe ou la terre creuse feront bien sûr l’objet de belles digressions. Un peu moins intéressant s’avère le chapitre relatif à Rennes-le-château, les allusions au Prieuré de Sion et au Da Vinci code : l’occultisme semble moins inspirer Eco. Terminons par cette jolie idée de l’écrivain italien, concernant le « pacte fictionnel qui nous lie aux propos de l’auteur, tout en sachant qu’ils n’existent pas, nous faisons semblant de croire à leur existence - et nous participons en complices au jeu qui nous est proposé » (p. 436).

Un beau livre d’art, empli de merveilles et d’images éblouissantes, que je ne saurais trop conseiller aux amateurs de ces mondes perdus de l’imaginaire mondial, et qui, en ayant créé tant de beauté, vivifient notre pensée de nos jours encore, et pour toujours.

Umberto Eco, Histoire des lieux de légende, Flammarion 2013, illustration de couverture de Thomas Cole (1842), 478 p., 35 euros.

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