Dernières nouvelles
Dernières nouvelles regroupe trois textes posthumes, publiés en poche aux éditions J'ai Lu, de l'auteur Jim Harrison, qualifié par certains de légende de la littérature américaine. Il s'agissait pour moi d'une première incursion dans le monde du plus fameux borgne du Michigan, même si ses oeuvres, au moins leur adaptation, sont connues de tous - je citerai simplement Légendes d'automne, Vengeance et Wolf que tout le monde a vu au cinéma.
Trois nouvelles donc. La première s'intitule les Oeufs : elle raconte l'histoire de Catherine, fermière isolée du Montana, dont la seule véritable passion concerne les poulets, et qui n'aspire qu'à une chose, avoir un enfant à elle - sans le mari s'entend. De sa jeunesse jusqu'à un âge avancé, c'est donc toute l'existence de Catherine que nous dévoile Harrison, à travers les évènements locaux mais aussi mondiaux comme la Guerre mondiale, où l'héroïne, coincée dans le blitz londonnien, se plait à regretter son élevage de poulets. Même si les sujets abordés sont graves, le ton général de la nouvelle reste léger et gai. Une comédie douce amère en quelque sorte.
La seconde, le Chien, met en scène le personnage de Chien-Brun, le personnage fétiche de Jim Harrison puisqu'il est le héros de six aventures. Un personnage à la fois détonnant et truculent, à l'image de ce qu'était sans doute Harrison. Se décrivant volontiers comme un sang-mélé indien, ce qu'à priori il n'est pas, Chien-Brun ne possède rien. Il n'a pas de toit définitif sur la tête, il n'a pas de numéro de sécurité sociale, pas de compte en banque. Décrit comme une force de la nature, insolent, instable et assez porté sur la gaudriole, il n'en demeure pas moins un personnage des plus interessant de la littérature parce que les buts qu'il se fixe sont ceux auxquels on aspire. S'il se contente de bosser un peu pour acheter de quoi se payer son "pack de six", son vrai plaisir est d'aller à la pêche à la truite et de vivre dans ses forêts du Michigan. La quête d'un bonheur simple et absolu pour laquelle il ne renoncerait pas pour tout l'or du monde. La seule chose qui le retient quelque part, c'est ce couple improbable qu'il forme avec une personne des services sociaux, Gretchen, avec qui il a eu une petite fille dont il rêve de devenir le père légal. Cette histoire est de loin ma préférée.
La troisième s'intitule L'affaire des Bouddhas hurleurs. L'inspecteur Sunderson, 66 ans au compteur, traine une existence misérable entre pêche, chasse et alcool. On lui propose d'enquêter sur la disparition d'une jeune fille, enrolée peut-être de force dans une sorte de secte zen. Cette enquête finalement secondaire dans l'histoire est quasiment occultée par le goût immodéré du vieux flic pour les jeunes filles, en particulier Barbara, provocatrice, délurée... et seize ans à peine. Une nouvelle qui prend une dimension très particulière dans le contexte actuel. Si Sunderson est incapable de résister à l'attrait de la jeune fille, au point qu'elle finit par l'obséder complètement, la logique finale, amère, est pour le personnage la seule envisageable. Une histoire donc assez dure, indiscutablement provocatrice de la part de Jim Harrison, à bien évidemment pas mettre entre toutes les mains parce que crue.
Dernières nouvelles, ou une autre facette du talent de Jim Harrison à conter l'existence de personnages simples, des antihéros ou des hommes et femmes ordinaires, prêts à tout sacrifier pour atteindre leur but, qu'il soit louable ou sordide...
Dernières nouvelles - Jim Harrison - Éditions J'ai Lu - juillet 2018 - 7, 80 €