Demonica

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Le Mal est partout : en 1563, une poignée de protestants fuient la guerre de religion qui embrase la France et se réfugient secrètement en Canada. Sur le site abandonné du village iroquois d'Hochelaga, que Jacques Cartier a visité en 1535, ils fondent Havre-Grâce, où ils aspirent à vivre en paix.

Le Nouveau Monde se révèle inhospitalier pour ce groupe d'idéalistes mal préparés. Les premières récoltes sont mauvaises et le gibier a déserté les environs. L'hiver est cruel et le froid, dévorant. La neige fait de la colonie une prison. La faim s'y installe et emporte les plus faibles.

Pas à pas, le Mal s'insinue dans Havre-Grâce. Une fillette semble être possédée, des envies de cannibalisme animent certains colons et une créature mystérieuse rôde aux alentours.

Homme, bête ou démon ? Nul ne peut le dire. Le jeune Guichard Sorbiac tentera de le découvrir.

Comme son titre l'indique, Demonica appartient au genre fantastique, censé nous procurer des frissons en nous mettant en présence de forces obscures et souvent immémoriales. Ici, nous sommes au Canada, et ces dernières sont donc issues des mythes et légendes du Nouveau Monde. Hervé Gagnon détient un doctorat en histoire, matière qu'il a longtemps enseignée en université, et cela se sent à sa façon de présenter son récit en l'ancrant fidèlement, mais aussi avec pédagogie dans l'époque où il l'a situé - le seizième siècle. L'intrigue est en effet empreinte des épisodes tumultueux de l'histoire de France et de ses guerres de religion, ainsi que des premiers colons qui ont osé s'établir au Canada, mais sans le côté pesant des cours magistraux. Il n'y a d'ailleurs que quelques références à l'histoire événementielle, la part belle étant plutôt faite à la petite histoire, aux us et coutumes et à la vie quotidienne des protagonistes.

Le sentiment qui prime pour moi à la lecture de ce roman est celui d'éprouver pleinement les conditions auquelles doivent faire face les habitants de Havre-grâce. L'atmosphère est lourde et poisseuse, on ressent leur solitude, leur isolement total, leur faim, leur peur, leur désespoir, mais c'est surtout le froid, omniprésent, qui transpire à chaque page de ce qui, avec la venue de l'hiver, devient presque un huis clos. Tout cela est remarquablement bien décrit et confère une atmosphère très glauque et pesante au récit. La peur, quant à elle, je veux dire la peur suscitée par une lecture d'épouvante, m'a quittée depuis mes jeunes années et je ne l'ai pas ressentie ici, mais je crois que c'est seulement parce que j'ai trop l'habitude. Le cinéma arrive encore à me procurer quelques frissons, cependant là aussi c'est de plus en plus rare. Le dégoût, oui, parfois, en raison de scènes bien sanglantes, et encore... Les amateurs de gore seront toutefois servis, car l'auteur ne lésine pas sur l'hémoglobine ni sur les détails croustillants.

L'autre point qui m'a sauté aux yeux dès le début concerne le style d'Hervé Gagnon. Dans ce roman, exit les anglicismes et expressions à la mode - mais ô combien incorrectes ! - dont raffolent les auteurs français. On s'aperçoit alors que les Québécois, quand ils font fi de leurs régionalismes hauts en couleur, parlent et écrivent bien mieux le français que nous. Un exemple qu'il serait bon de suivre !

En résumé, une plongée en apnée dans un récit extraordinaire et documenté, tirant sur toutes les cordes des peurs ancestrales et servi par une écriture très soignée.

Demonica, Hervé Gagnon, M+ collection noire, 21,90 €

 

 

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