Delicious Foods®

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Delicious Foods, le nom qui fait rêver. Dans la réalité, beaucoup moins. Gigantesque installation agricole perdue au fond de la Louisiane, elle exploite du personnel sous-qualifié et bien entendu sous payé selon une technique particulièrement machiavélique : les recruteurs parcourent les rues des petites villes à la recherche de sans-abris et de nécessiteux, de préférence drogués, à qui ils font miroiter un gros salaire, des installations superbes, bref une nouvelle vie. Parvenus sur place, les malheureux qui ont signé se retrouvent dans des dortoirs indignes d’animaux, grouillants de parasites, ils  sont étranglés de dettes fictives, maltraités et menacés, et drogués pour ne pas avoir à réfléchir. C’est là qu’atterrit un soir Darlene, une jeune femme noire dont le mari a été victime de meurtre raciste, condamnée pour survivre à faire le trottoir. Du jour au lendemain, elle disparait, laissant son fils unique Eddie. Il faudra des mois à Eddie pour retrouver sa mère, pour la rejoindre et parvenir à s’échapper en y laissant ses deux mains. La scène de fuite qui ouvre le roman est d’ailleurs hallucinante, on partage la douleur du jeune garçon à bout de force, exsangue, mais animé d’une volonté qui ne faiblira pas.

La construction de ce roman, après l’introduction centrée sur Eddie, va ainsi donner au lecteur trois points de vue, trois récits qui s’entremêlent étroitement : il y a d’abord le jeune garçon, que l’on voit grandir, murir, s’accommoder de son handicap au point d’en faire un atout. Puis Darlene, la mère, qui ne réalise absolument pas ce qui lui arrive et qui, malgré les mauvais traitements, se persuade qu’elle est mieux là que dans la rue. Dans une sorte de syndrome de Stockholm grandement favorisé par une consommation excessive de drogues, elle finit par apprécier la situation au point de refuser que son fils la tire de cet enfer. Enfin, le troisième personnage, gouailleur, parlant un langage de la rue bourré de fautes de syntaxe, tour à tour enjôleur et menaçant, protecteur et jaloux, c’est la drogue elle-même, celle qui remplit les poumons et l’esprit des forçats de Delicious Foods, et qui se réjouit de fidéliser ceux qui dépendent d’elle. Un personnage qui survole le roman comme un spectateur attentif et intéressé, qui veille à ce que chacun et chacune reçoive sa dose pour ne pas avoir à trop penser…

Avec Delicious Foods, James Hannaham  réussit un roman coup de poing, sombre, noir, une page d’esclavagisme moderne et de traite des Noirs, dont il se dégage au fil des pages une sensation de désespoir absolu. Et pourtant, de toute cette noirceur, de toute cette misère, subsistera une dose d’optimisme, en la personne d’Eddie, qui envers et contre tout voudra prouver qu’il est toujours possible de s’en sortir. Une fois de plus, les éditions Globe nous offre un nouveau roman totalement hors des sentiers battus, et après  Rideau!, la Fracture ou Crazy Brave, je renouvelle mon admiration par cette maison et la remercie pour sa confiance.

 

Delicious Foods - James Hannaham - Editions Globe - Aout 2020, 22 €

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