De 2015 à 2016 avec Jean-Christophe Chaumette

J’avais écrit pour Phénix, il y a un an, un article sur dix séries à voir avant de mourir, en regrettant de pouvoir n’y inclure que deux séries appartenant à l’univers SFFF, à savoir Game of Thrones et Supernatural.

2015 m’a permis de découvrir trois bijoux en matière d’Imaginaire, caractérisés par leur originalité, leur inventivité. Aussi bonnes soient-elles, les histoires qui recyclent ad nauseam les affres de post-ados transformés soit en lycanthropes soit en vampires, ou le vertige qui les saisit lorsqu’ils prennent conscience qu’ils sont des super-héros, finissent par lasser. La première qualité qu’on est en droit d’attendre des créateurs dans le domaine de l’Imaginaire, c’est évidemment l’imagination. Faire ZNation parce que Walking Dead cartonne, The Vampire diaries parce que les buveurs de sang sont à la mode, ou Daredevil parce que tout le monde aime les personnages de Marvel, cela me semble aller à l’encontre de ce que les passionnés de la SFFF sont en droit d’attendre.

Donc bravo à ceux qui sont sortis des sentiers battus !

 

Wayward Pines nous fait suivre les aventures d’Ethan Burke (excellent Matt Dillon) qui enquête sur la disparition de deux de ses collègues des services secrets. Après un accident de voiture, il se réveille dans l’étrange village de Wayward Pines, une communauté dont il semble impossible de s’échapper, et dont les membres sont surveillés en permanence. Les amateurs de SFFF de ma génération penseront forcément à la série britannique des années soixante The Prisoner. Son ambiance particulière a sans doute inspiré les scénaristes de Wayward Pines. Mais dans cette dernière, l’histoire se développe de manière à donner au spectateur toutes les explications qu’il attend, en explorant une voie de la SF assez rarement empruntée. Wayward Pines est une des bonnes surprises de l’année 2015, et certainement ce que Night Shyamalan a fait de mieux depuis longtemps.

 

Sense Eight est une autre série créée par des réalisateurs venus du cinéma après d’énormes succès (ce qui en dit long sur l’importance que prennent les séries). En effet, ce sont les Wachowski qui sont aux manettes sur ce coup-là ! Ceux qui aiment leur univers seront obligatoirement fascinés par Sense Eight. Ceux que Cloud Atlas a rebutés feraient mieux de laisser tomber… Quatre femmes (dont une trans) et quatre hommes (dont un homosexuel), citoyens du monde, découvrent peu à peu qu’ils sont connectés les uns aux autres, sur les plans intellectuel, sensoriel et émotionnel. Tout comme pour Wayward Pines, les vieux amateurs de SFFF décèleront une influence venue du fond des âges de la littérature de l’Imaginaire. Je veux parler de Theodore Sturgeon, et de sa théorie du Gestalt dans More than Human. Cette communion d’êtres différents dans laquelle chacun apporte aux autres ce qu’il ne peut réaliser lui-même sera bien utile à nos héros pour résister à une organisation impitoyable qui les traque sans merci. La réalisation est magnifique (Wachowski oblige), jusque dans le générique, tellement beau qu’on évite de le zapper à chaque nouvel épisode. Seul reproche : cette détestable manie qu’ont les Américains de faire parler en anglais des personnages mexicains, coréens ou allemands (avec une petite exception pour le début des premiers dialogues, histoire que le spectateur comprenne qu’on est à Mexico, Séoul ou Berlin, et pas dans une ville des États-Unis !).

 

The Leftovers est probablement le choc le plus fort que j’ai reçu en cette année 2015. On peut dire que la conception et la réalisation de cette série nous font découvrir l’essence même de ce qu’est le Fantastique. Un 14 octobre, 2% de la population mondiale disparait en un instant, sans qu’aucune explication rationnelle ne puisse être trouvée. L’histoire ne s’attache pas à enquêter sur le mystère de ce phénomène de « ravissement », mais analyse ce qu’est devenue la société trois ans après ce funeste 14 octobre. Nous contemplons l’Humanité face au vide laissé par une faux invisible, incompréhensible, hors d’atteinte de toute réflexion, de toute spéculation, et même de toute foi. Des sectes pullulent, d’étranges gourous sillonnent le pays, ce qui était considéré comme folie devient soudain moins absurde, les valeurs qui semblaient les plus solides s’affaissent comme aspirées dans des sables mouvants. The Leftovers pourrait être interprété comme la transposition à notre époque de l’Humanité du XIVe siècle frappée par la Peste Noire, une Humanité sonnée par un fléau dont elle ignore qui l’a manié et pourquoi, errant sans but, sans désir et sans espoir.

En matière de romans, du très bon également avec la saga de Rick Yancey The 5th Wave, et celle de Justin Cronin The Passage. Difficile de rêver mieux dans le domaine du post-apocalyptique (à déclencheur ET chez Yancey, épidémie vampirique chez Cronin). J’attends la fin de ces trilogies avec la même impatience que le dernier volet de The Kingkiller Chronicle de Patrick Rothfuss, probablement le meilleur ouvrage de Fantasy que j’ai eu l’occasion de lire.

 

2015 fut donc un très bon cru pour les séries et les romans de SFFF. Sur un plan plus personnel, cette année a été marquée par la publication de mon roman Gospel aux éditions Voy’el. Je suis très attaché à ce projet parce qu’il m’a permis de développer l’objet livre en trois dimensions : la dimension du texte, mais aussi la dimension graphique grâce à une collaboration étroite avec Genkis et Sev qui ont fait un long et difficile travail d’illustration, et la dimension musicale, un petit plus autorisé par les possibilités du Web et le site Deezer.

2016 sera l’année d’un autre projet en collaboration, collaboration bien plus étendue puisqu’il s’agit d’un Art Book réalisé avec Sébastien Hue, un space opera écrit à partir d’illustrations existantes, exercice de style particulièrement stimulant. Dévoilé en avant-première aux Rencontres de l’Imaginaire de Sèvres, Essaims galactiques sort officiellement en janvier 2016. 

Sections: 

Ajouter un commentaire