Moi, Lucifer

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Moi, Lucifer, Ange Déchu, Porteur de Lumière, Prince des Ténèbres, de l’Enfer et de ce Monde, Seigneur des Mouches, Père du Mensonge, Suprême Apostat, Tentateur, Antique Serpent, Séducteur, Accusateur, Tourmenteur, Blasphémateur et, sans contestation possible, Meilleur Coup de l’Univers Visible et Invisible (demandez donc à Ève, cette petite garce), j’ai décidé — ta-daaah ! — de tout dire.

Tout ? Presque. Le funk. Le swing. Le boogie. Le rock (C’est moi qui ai inventé le rock. Si vous saviez tout ce que j’ai inventé : la sodomie, bien sûr, la fumette, l’astrologie, l’argent... Bon, on va gagner du temps : tout, absolument tout ce qui vous empêche de penser à Dieu. C’est-à-dire à peu près tout ce qui existe).

Dieu m’a laissé trente jours pour me racheter, dans ce corps immonde, chichement membré, d’écrivain suicidé... Mais qu’est-ce qu’Il croit ? Que j’ai du temps à perdre. J’ai un livre à écrire. Ma version de l’histoire. Et ça fera un putain de bon film, c’est moi qui vous le dis.

Glen Duncan (que j’ai confondu avec Hal Duncan jusqu’à ce que je commence ce livre-ci) n’avait pas encore vu ses livres traduits en français avant Moi, Lucifer, mais il avait déjà bien fait parler de lui lors du projet d’adaptation de ce roman sur grand écran, avec pas moins qu’Ewan McGregor (bien) ou encore Daniel Craig (pas bien) pour le rôle principal. C’est dommage que ce projet n’ait pas abouti parce que cette histoire a un potentiel cinématographique indéniable. Par contre, je suis un peu plus dubitative quant à sa forme littéraire.

Ce n’est pas que je n’ai pas aimé ce livre. En fait, j’en suis sortie plutôt mi-figue mi-raisin. J’ai adoré l’idée principale, celle d’« incarner » le diable en lui faisant habiter un corps humain pendant trente jours pour des raisons obscures (ou pas). Et certains passages des souvenirs de Lucifer sont délicieusement caustiques et douloureux. Mais dans l’ensemble, j’ai trouvé la narration très (trop) hachée, d’autant plus que certaines ellipses temporelles m’ont semblé incompréhensibles et d’autres très brouillonnes. Ce livre m’a donné l’impression d’être une sorte d’assemblage maladroit de bonnes idées. Certains passages pris à part sont brillants, mais une fois mis ensemble dans ce « tout » plutôt incohérent qu’est Moi, Lucifer, ils perdent de leur saveur.

Si je dis cela, c’est que j’ai parcouru ce livre petits morceaux par petits morceaux. Il m’a bien duré deux semaines, ce qui est plutôt inhabituel chez moi (deux jours étant plutôt la norme maximale, surtout pour un roman de moins de trois cents pages). Mais j’ai été incapable de le lire d’une traite. Je tombais sur un passage exaltant, et mon enthousiasme pour le roman (re)naissait. Mais le plus souvent il était suivi d’un passage lourd, obscur ou mal dégrossi, et je reposais (à nouveau) le bouquin, exaspérée. D’où mon impossibilité de trancher et de dire « non, je n’ai pas aimé » ou « si, j’ai quand même aimé ».

En fait, je trouve que Moi, Lucifer manque d’un sérieux travail de relecture de la part de l’éditeur anglais (non, je ne vous vise donc pas monsieur Dumay, quoique je me demande comment vous avez pu percevoir cela, vu que vous ne devez - de toute évidence - pas partager mon avis), qui aurait dû signaler à son auteur cette impression de décousu qui ressort d’un livre qui aurait pu facilement être beaucoup plus fluide et, du coup, une belle petite bombe amusante, style série B déjantée et culottée. Enfin, pas tant culottée que ça parce que le diable de Duncan est quand même bien sage (même si c’est un des points qui s’explique quelque peu vers la fin). Il déçoit souvent dans ses considérations ou dans ses actions. Lucifer ne semble être au final qu’un gentil petit bougre qui aime susurrer des insanités à l’oreille des gens et observer leur stupidité, mais c’est à peu près tout. Il reste cependant un esprit subversif refusant de se soumettre à la Loi juste parce que c’est la Loi des plus séduisants. Et une ambiguïté de plus dans mon appréciation (on n’est plus à ça de près après tout).

Reste une idée finale plutôt bien trouvée qui a un peu rattrapé le tout pour moi. Mais pas assez pour faire s’évanouir le sentiment mitigé que j’ai ressenti à la lecture de ce livre...

Au final, Moi, Lucifer est un gentil délire d’auteur possédant quelques pépites qui restent malheureusement enfermées dans un récit m’ayant semblé beaucoup trop mal dégrossi. C’est dommage, cette histoire avait pourtant un potentiel incroyable...

Moi, Lucifer de Glen Duncan, traduction de Michelle Charrier, Denoël, coll. Lunes d’Encre, 283 p.

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