Baal
Les éditions Rivière Blanche proposent ici une réédition d’un auteur peu connu, Renée Dunan. Dans une introduction passionnante, Brian Stableford revient sur son parcours : jeune provinciale montée à Paris puis journaliste, Dunan a écrit plusieurs romans dans les années 1920 et 1930, dans plusieurs genres différents dont Baal et Les amantes du diable, réunis dans ce volume. Et c’est finalement passionnant, à près d’un siècle de distance, de découvrir ces textes.
La parenté Lovecraftienne
Ces deux romans montrent d’abord une commune inspiration avec le reclus de Providence, H.P. Lovecraft. En plus d’une ambiance oscillant entre fantastique et horreur, la description de la créature nommée Baal dans le premier roman évoque fortement Chtulhu. C’est complètement normal car Dunan puise clairement aux mêmes sources : remise en question du rationalisme et du scientisme depuis la fin du 19ème siècle, influence de la théosophie, goût pour le spiritisme et aussi choc de la grande guerre (spécifiquement français). Là-dessus se greffe l’influence de la psychanalyse via un intérêt très marqué pour la sexualité. Car, contrairement au puritain Lovecraft, Renée Dunan introduit beaucoup de notations sexuelles dans ces deux romans. La relation entre la sorcière Palmyre et sa secrétaire se place résolument sous le sceau d’une homosexualité latente. Quant à la créature Baal, le récit qu’en fait Palmyre après son apparition indique qu’il y a eu relation sexuelle - on imagine mal Lovecraft écrire ce type de scène (L’abomination de Dunwich présente bien des rejetons issus d’une union contre nature entre une humaine et le démon Yog-Sothoth mais l’accouplement reste hors champ). Quant aux amantes du diable, il s’agit d’une histoire de sorcières, visiblement inspirée de Michelet, très loin d’Ambrose Bierce, mais encore une fois pleine d’une sensualité et d’un érotisme qu’on peinerait à trouver de l’autre côté de l’Atlantique.
Le témoignage d’une époque
Baal et Les amantes du diable sont cependant handicapés par un style ampoulé, verbeux. On a l’impression que l’auteur s’écoute écrire, se perd dans des monologues ou des digressions qui ralentissent l’histoire, mais peut-être cela est-il symptomatique du style de l’époque, quelque chose qui passe moins bien de nos jours… On note aussi, ici et là, la présence d’archaïsmes, particulièrement dans Les amantes du diable, - par exemple l’emploi du verbe « celer » - comme si l’auteur cherchait à recréer la langue du 16ème siècle sans pour autant y parvenir. Pour le lecteur d’aujourd’hui, c’est assez déconcertant.
L’amateur de fantastique, auquel s’adresse ce livre, trouvera par contre la preuve que le genre n’est pas seulement une affaire anglo-saxonne. Jean Ray serait donc l’arbre qui cache la forêt ? Renée Dunan apporte la preuve que la France, ce pays cartésien jugé impropre au développement des littératures de l’imaginaire, a abrité en son sein une littérature fantastique autochtone. De plus, à tout prendre, Renée Dunan n’écrit après tout pas plus mal que beaucoup d’écrivains publiés dans Weird Tales. On ne peut donc qu’attendre avec impatience les prochaines rééditions de la collection « Baskerville » car des trésors oubliés pourraient bien resurgir…
Renée Dunan, Baal, introduction et notes de Brian Stableford, éditions Rivière Blanche, collection Baskerville, illustration Yoz, novembre 2012, 268 pages, 20 €