Au nom du néant

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Très étrange objet. Comme souvent chez Dartevelle. Roman ? Recueil de nouvelles ? Les deux, sans doute. Science-Fiction ? L’action se passe sur une planète bizarre, non décrite, l’Astre des Délices. Surnaturel ? On croise une mythologie curieuse et des êtres mi-végétaux mi-humains. Fantasy aussi alors ? Et le style ? Une vraie narration linéaire ? Un pamphlet ? L’attaque nette du prosélytisme religieux évoque certains opuscules du siècle des Lumières. Roman illustré ? Les dessins de Marc Sevrin ponctuent les différentes histoires à la manière des illustrations tragiques de Jacques Callot. En ouvrant comme en refermant ce petit livre, le lecteur s’interrogera toujours.

Et c’est ce qui fait la fascination de cet ouvrage, bien sûr voulue par l’auteur, un subtil familier de ce mélange. La trame ? Un vicaire de la religion de la Grande Béance, adorateur de l’Ogre de la Vie vraie, s’installe sur une planète. Un peu médecin, il soigne les corps et les âmes, pour délivrer les uns des souffrances et amener les autres dans le sein de l’Ogre universel. Il s’agit d’une seconde série de « souvenirs » du narrateur, après une première, dont le lecteur ne saura rien, selon un procédé littéraire connu. Au fil de douze récits, Dartevelle nous conte la vie quotidienne de ces natifs à convertir. Des personnages particuliers se dessinent, comme Marjo la fille facile, que le « docteur des âmes » convoitera puis répudiera et tuera après mille supplices, ou Tchin-Tsinatus, le chef militaire rebelle, ou encore Kif Calebasse, converti malheureux.

La description de ce monde de « Sylvains » végétaux évoque Le Voyage souterrain de Nils Klim, de l’ancêtre Holberg, en plus cruel. Car Dartevelle n’y va pas par quatre chemins et la quête spirituelle du prêtre narrateur a tout du caractère de colonisateur forcené de nos missionnaires d’antan. Les allusions à l’hostie (la pâte de fruit ointe) ou à la Vierge Marie (la Dame blanche miraculeuse) sont transparentes : c’est bien la religion catholique que Dartevelle vilipende à souhait. Si les chrétiens mangent le corps du Christ, ici, les morts vont nourrir le Gouffre de la Grande Béance, le monde de l’Ogre.

On en revient à la question initiale : qu’est donc ce livre ? Il est à lire à de multiples degrés, tout comme ces petits ouvrages du siècle des Lumières, destinés à écraser l’Infâme (Voltaire). En d’autres temps, il aurait immédiatement été mis à l’Index. Après le fantastique pur d’ « Amours sanglantes » et l’uchronie de « Narconews », Alain Dartevelle prouve la diversité de son talent avec cette fable aussi cruelle que poétique (le style est superbe). Fable politique hélas, qui semble le témoignage ironique d’une actualité future et exotique qui pourrait bien, un jour, avoir lieu.

Alain DARTEVELLE, Au nom du néant, Editions Murmures des Soirs 2012, 84 p., 17 euros

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