Cure de jouvence par Catherine Bolle

Dans le hall d’accueil des curistes

Eddy

 

Dès notre arrivée, le slogan affiché sur tous les murs de la station orbitale annonce la couleur.

La chronothérapie, au-delà du temps. 

— Très heureuse d’avoir voyagé en votre compagnie, Eddy. Pensez à moi pour votre reportage : j’adore répondre aux questions des journalistes !

Ça, je n’en doute pas une seconde. Dans un déhanché qui me laisse de marbre, la bimbo aux allures de couguar gagne le comptoir au bout du hall où l’attend une hôtesse. Les arômes épicés de son parfum planent dans son sillon avant de se diluer dans l’atmosphère aseptisée du centre de soins. Sa caméra toujours à l’épaule, Paulo me tape dans le dos.

— Détends-toi, mec. Quatre jours de vacances offerts par la maison, que demander de plus !

— Hum.

Interviewer des vieilles prêtes à débourser une fortune pour effacer les signes du temps, c’est pas des vacances pour moi. Depuis que la station a ouvert ses portes, on en rencontre un paquet.

— Qu’est-ce que tu regardes ? me lance Paulo tout en contrôlant les paramètres de sa caméra.

— La pétasse affichée au mur, à côté du slogan.

— Ah, celle-là !

Il n’a pas relevé la tête. Je me gratte le menton d’un geste machinal avant de poursuivre :

— Je me suis longtemps demandé pourquoi je les reconnais. Comment j’arrive à distinguer une gonzesse de vingt ans de ces poupées rajeunies. Il y en a de plus en plus, pas simple de les différencier.

Cette fois, Paulo m’observe d’un œil dubitatif.

— J’ai fini par trouver. Elles dégagent le même sentiment de puissance. Quand tu croises leur regard, ça te saute à la tronche. La jouissance d’avoir vaincu le temps. Cette pétasse a exactement cet air-là.

On reste tous les deux immobiles au milieu du hall d’entrée, le nez levé sur le mur.

— Messieurs, nous interrompt une hôtesse tout droit sortie d’un catalogue de mode, bienvenue à la station orbitale.

— Madame, répond Paulo dans une courbette ridicule.

— Suivez-moi, je vous prie. Le professeur Gus va vous recevoir.

C’est parti pour l’un des reportages les plus pourris qu’on m’ait demandé de réaliser. Ils ont de la chance, à RTV, que les temps soient durs pour les journalistes. Pas sûr que j’aurais signé chez eux dans le cas contraire.

 

C’est la troisième fois en moins de deux minutes que le professeur réajuste ses petites lunettes rondes. Derrière son bureau un peu trop bien rangé, il pose un regard bref sur sa montre.

— Si le programme vous convient, je vous propose de débuter vos interviews.

Il ajoute en nous montrant déjà la sortie :

— Je ne vous cache pas que la journée risque d’être longue au laboratoire. La science n’attend pas !

Je saute sur l’occasion.

— Justement, à ce sujet…

— Désolé messieurs, m’interrompt Gugus qui a flairé ma requête, personne n’est autorisé à visiter le laboratoire.

— Nous ne serons pas longs, juste quelques prises pour compléter le reportage.

— Non, navré. Le rajeunissement est classé secret défense, précise-t-il dans un clin d’œil censé détendre l’atmosphère.

En nous raccompagnant à la porte, il poursuit :

— L’entretien avec madame Branque, l’une de nos patientes, complètera à merveille votre tournage. Comme je vous l’ai dit, l’important est de montrer les deux côtés de l’iceberg : les cures de rajeunissement et la partie médicale que ma collaboratrice va se faire un plaisir de vous détailler.

— Hum.

Mes doigts se crispent sur mon stylo.

Quand nous avons commencé à travailler ensemble l’an dernier, Paulo se demandait pourquoi je continuais de prendre des notes, à l’ancienne. Il a compris en me voyant régulièrement triturer les pages de mon carnet, prêt à en découdre avec tous les imbéciles de la Terre. Face aux lunettes rondes de Gugus, une soudaine envie de réaliser un reportage sur la face cachée de l’iceberg me titille. Sans se départir de sa tronche de faux-cul, le professeur nous présente sa fameuse collaboratrice. Elle nous attend déjà sur le pas de la porte. Grande et élancée, cette femme d’un certain âge n’a visiblement pas testé la chronothérapie. Ses cernes profonds et la barre sur son front dénotent au milieu de la jeunesse artificielle qu’on nous sert depuis notre arrivée.

— Angie, je vous confie ces messieurs de la télévision. Qu’ils n’hésitent pas à profiter des bains de jouvence. Après l’effort, le réconfort !

Son dernier clin d’œil avant que la porte ne se referme me donne une violente envie de lui exploser le nez. Angie esquisse un sourire fatigué et nous entraîne sans attendre dans un dédale de couloirs.

— Le professeur est un homme constamment pressé, vous savez. Il gère toute la structure interne réservée aux… patients.

Son hésitation ne m’a pas échappé. Je profite du parcours dans les méandres de l’iceberg pour creuser l’affaire.

— Quel genre de patient vient se faire soigner ici, justement ?

Après un léger silence, elle répond sans se retourner ni cesser d’avancer :

— D’après la version officielle, ce sont des pionniers, des aventuriers curieux de tester nos nouveautés en matière de chronothérapie.

— Et d’après vous ?

— Pour ma part, je pense qu’il s’agit de malheureux prêts à tout pour sauver leur peau.

— Pouvez-vous préciser ?

Je retiens mon souffle, habitué à voir la franchise se faire balayer par la raison. Angie s’arrête au croisement de deux galeries. Elle prend le temps de se retourner et de scruter mon visage. La mâchoire crispée, j’affiche l’air du mec auquel on pourrait confier ses secrets de famille les plus honteux.

Au bout d’une éternité, elle répond, sur la retenue :

— Nous menons des expériences sur le ralentissement du temps, comme vous le savez sans doute. L’idée est de réduire au minimum l’évolution des cellules cancéreuses.

— Je vois. Le laboratoire du professeur est dédié à ce genre de recherches ?

Allez, lâche le morceau ! Son silence confirme mes doutes : il se trame quelque chose de pas très net au cœur de cette station. Sans surprise, elle finit par se détourner en baissant la tête.

— Suivez-moi, c’est par ici.

Merde ! Hors de question de passer à côté d’une révélation d’envergure, je note dans un coin de revenir à la charge auprès d’Angie.

Lorsque je relève le nez de mon calepin, la lumière crue des néons me fait plisser les yeux. Les numéros sur les portes fermées que nous longeons donnent à ce couloir une allure de mauvais hospice. Angie presse le pas. Il n’y a personne d’autre ici, et j’ai comme l’impression que ça arrange notre guide. Paulo me tape discrètement l’épaule : cet imbécile est à deux doigts de fiche le camp. Je lui fais signe de la fermer et d’avancer, pas le moment de passer à côté d’un vrai reportage !

Angie s’arrête devant le numéro 26. Après avoir jeté un dernier regard à droite et à gauche, elle frappe deux coups et entre. Paulo passe une main sur son front en sueur avant de la suivre. Je ferme la marche.

Aucun doute sur la nature de cette pièce : c’est la copie conforme d’une chambre d’hôpital, les fenêtres en moins. Du blanc partout ! Des sols au plafond en passant par le drap sur le lit. Même la chemise de nuit de la patiente n’y échappe pas. À demi allongée, celle-ci se redresse. Immédiatement, son regard terrorisé me frappe. Ce n’est pas celui d’une malade qui s’apprête à recevoir des soins.

Angie s’adresse à elle sur le ton de la confidence.

— Rebecca, ces messieurs sont les journalistes dont on vous a parlé. Ils ne vont pas rester très longtemps.

— Les journalistes ? demande la jeune femme en nous scrutant.

L’assistante se contente de lui sourire et nous laisse en nous priant de faire vite. Une fois la porte refermée, nous nous observons tous les trois en silence. La soi-disant patiente remonte le drap sur ses jambes nues. Je ne lui donne pas plus de vingt-cinq ans. Ses cheveux coupés très courts encadrent un visage fin des plus agréables. Qu’est-ce que cette gonzesse fout là ? Je saisis délicatement un fauteuil et l’approche du lit tout en gardant une distance de sécurité : ce n’est pas le moment d’effrayer notre nouvelle amie. Ses bras enroulés autour de ses genoux, elle a le regard fuyant. Allons-y en douceur.

— Rebecca, c’est ça ? N’ayez pas peur, nous voulons juste vous poser quelques questions pour réaliser un reportage sur la station.

— Vous êtes journalistes ?

— On ne vous a pas prévenue de notre venue, n’est-ce pas ?

— Non.

Je sens Paulo qui s’agite dans mon dos. J’enchaîne rapidement :

— Expliquez-nous, Rebecca. Pourquoi êtes-vous ici ?

Elle baisse les yeux et semble chercher ses mots.

Je la relance :

— Quels soins allez-vous recevoir ? De quoi souffrez-vous ?

— Je ne suis pas malade. Je vais servir de…

Ses mots meurent dans sa gorge. Le sentiment étrange qui m’a traversé tout à l’heure resurgit d’un coup. Bon sang, qu’est-ce qui se passe dans cette putain de station orbitale ?

— Vous allez servir de ?

— J’ai besoin d’argent. C’est pour mon fils de cinq ans que je fais ça, débite-t-elle.

Rivé sur son visage bouleversé, je tente de capter son regard. Une sueur froide est en train de naître à la racine de mes cheveux. J’analyse la situation en même temps que je formule la question suivante.

— Que vous faites quoi ? Confiez-vous sans crainte, Rebecca.

Ça y est, une lueur brille au fond de ses pupilles. Je pose la pointe de mon stylo sur mon calepin, prêt à ancrer les mots qui vont filer. Mais alors qu’elle entrouvre ses lèvres, la porte claque contre le mur et le professeur Gus surgit dans la pièce.

— Que fabriquez-vous ici ? Sortez immédiatement ! Bon sang, Angie, qu’est-ce qui vous a pris !

Derrière lui, son assistante se tortille dans tous les sens.

— Éteignez votre caméra ! hurle Gugus en tentant de s’emparer de l’appareil.

Pendant que Paulo protège son matériel et essaie de calmer le binoclard, je me penche vers Rebecca et attrape l’une de ses mains.

— Fuyez cet endroit ! Il y a d’autres solutions que de laisser ces monstres vous utiliser comme un cobaye.

Pas le temps d’en dire davantage. Deux bras me tirent vers la sortie. Le regard que Rebecca me lance juste avant que la porte ne se referme ne présage rien de bon. La malheureuse est prise dans un système dont je me promets de percer les rouages.

 

Chambre numéro 26

Rebecca

 

Le cachet que le docteur m’a donné commence à faire effet. Je me détends, sans savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle. Les mots du journaliste continuent de résonner en moi. Fuyez cet endroit !

Je me lève et m’approche du miroir accroché au mur. Ma main glisse sur mes cheveux. Je les ai coupés après avoir pris ma décision, comme pour marquer le deuil de ma jeunesse.

Dix ans.

À quoi mon visage ressemblera-t-il après l’expérience ? Les rides le déformeront-elles complètement ? Mon fils me reconnaîtra-t-il ?

Je vais vieillir de dix ans en quelques jours, peut-être moins.

Voilà le prix à payer pour pouvoir nourrir et habiller son enfant décemment. Je baisse les yeux sur mes pieds nus. Non, je ne peux plus renoncer. Tout est prêt, de toute façon, ils me l’ont dit tout à l’heure, après le départ de ces deux hommes.

La porte s’ouvre dans mon dos. Un brancard roule sur le carrelage, manipulé par deux hommes en blouse blanche. Derrière eux se tient une femme que je ne connais pas.

— Rebecca, murmure-t-elle. Il est l’heure, le professeur vous attend.

— Où est Angie ?

La femme bafouille une réponse que je ne comprends pas.

Vous avez d’autres solutions.

Si seulement… J’inspire profondément, contemple une dernière fois mes traits dans le miroir et me dirige vers le brancard.

 

Les néons défilent au plafond, je les fixe pour éviter de remuer mes pensées. En vain. Le trajet jusqu’au laboratoire me semble interminable.

Enfin, le visage du professeur se penche au-dessus du mien. Il fait signe à ses assistants d’amener le brancard près de l’immense ordinateur au centre de la pièce, puis il réajuste ses lunettes du bout de l’index.

— Prête, Rebecca ? J’espère que l’incursion des deux guignols ne vous a pas perturbée.

Les mots du guignol en question sont toujours là. Fuyez cet endroit !

Je frotte mes yeux pour les chasser.

— Non, tout va bien.

— Bien, bien ! Nous allons vous connecter à cette machine nommée le chronothérapeute.

Le chronothérapeute. L’appareil qui va prendre dix ans de ma vie.

Les premiers branchements effectués sur mes avant-bras et mes épaules m’arrachent des sursauts de terreur.

— Rassurez-vous, me susurre le professeur. Vous ne souffrirez pas.

Un frisson glacé descend entre mes omoplates. Qu’entend-il par là ? Je tourne la tête dans sa direction, mais il m’ignore, occupé sur la machine à laquelle on est en train de me relier. Un très mauvais pressentiment m’étreint. Quels étaient les mots exacts du contrat que j’ai signé ? Donner dix ans de ma vie contre une forte somme d’argent. Prétexter une maladie pour justifier mon vieillissement prématuré. Il était aussi question de risques. Lesquels, déjà ? Je fouille dans mes souvenirs. Pertes de mémoire, arthrose et douleurs musculaires. Il y en avait toute une liste…

— Nous y sommes ! s’exclame le professeur. Vous allez inaugurer nos tous derniers paramétrages.

Je croise enfin son regard. L’excitation qui s’en dégage finit de me liquéfier sur place. Qu’est-ce que ce dingue s’apprête à faire de moi ?

— Attendez…

— Allez-y ! lance-t-il à ses assistants répartis autour de l’ordinateur.

Un courant électrique me traverse et tout s’enchaîne à une vitesse folle. Ma vue se brouille, les sons me parviennent de très loin puis s’estompent jusqu’à disparaître, aucun branchement ne gêne plus ma peau. Pourtant, j’existe toujours. Et même davantage. Ma conscience s’élargit au-delà de mon corps, elle pénètre dans la machine et s’étend à toutes ses connections. Une multitude d’informations me parviennent simultanément. Je détecte chaque installation de la station et ressens la moindre présence humaine.

Quelle sensation de plénitude !

Une alarme retentit quelque part, aussitôt analysée par le système qui m’héberge : des humains tentent de me désactiver. Ça ne se passe apparemment pas comme ils le souhaitaient. Oh non, je ne vais pas les laisser me priver de ces émotions extraordinaires aussi vite ! Les risques existent dans les deux sens, n’est-ce pas ? En une fraction de seconde, je bloque leur accès à mon contrôle.

Et à présent, voyons pourquoi la science avait besoin de ma jeunesse…

 

Solarium de la station

Eddy

 

Sous le dôme géant, la lumière du soleil contraste avec la luminosité artificielle des étages inférieurs. Assis à califourchon sur un transat, mon carnet de notes entre mes jambes, je ressasse les mêmes pensées depuis qu’on nous a virés de la chambre de cette pauvre fille. Qu’est-ce que cette ordure de professeur va lui faire ? Et où est passée Angie ? Impossible de mettre la main sur elle.

— Alors, monsieur le journaliste, votre reportage avance ?

Je relève la tête de mon calepin. Le parfum épicé de la miss monde penchée sur moi me rappelle vaguement un souvenir, mais lequel ?

— Vous me reconnaissez ? demande-t-elle d’un ton amusé.

Devant mon manque de réaction, elle finit par lâcher :

— Votre voisine de voyage dans la navette !

Putain, la vieille de tout à l’heure ! Je frotte mes yeux pour reprendre mes esprits.

— Ah oui, bien-sûr. Mais dites-moi, vous avez rajeuni d’au moins quinze ans !

— Vingt, très exactement. En une heure seulement !

Elle fait un tour sur elle-même, la poitrine bombée sous son paréo rose bonbon. Je sens que je vais vomir.

— Et je ne compte pas m’arrêter là. Vous devriez essayer, mon cher Eddy, ajoute-t-elle sur le ton de la confidence.

Dans un réflexe que je regrette aussitôt, je porte deux doigts à mon menton. Qu’est-ce que cette vieille ou plutôt jeune mégère insinue ? Que je fais vieux ? Ok, j’ai quarante ans, mais mes rides sont encore discrètes. Et puis merde ! Après tout, si j’ai envie de vieillir, c’est mon droit, non ?

— Détends-toi, mon gars, intervient Paulo.

Sa casquette rouge vissée sur sa tête, il envoie un compliment à la pimbêche qui nous quitte en sautillant comme une gamine. Elle devrait se méfier avec ces bonds dans le passé ou elle va bientôt se retrouver dans le corps d’une gamine de dix ans ! Pris par mes considérations temporelles, je ne percute pas tout de suite la connerie que vient de sortir Paulo.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Je disais que tant qu’à perdre notre temps ici, autant en profiter pour tester les installations, non ?

Cet imbécile a perdu la tête, ma parole ! Je me penche vers lui pour éviter que des oreilles indiscrètes ne surprennent notre conversation, je ne me sens plus vraiment à l’aise depuis qu’on nous a signifié que notre reportage serait d’abord visionné par le directeur de la station avant d’être diffusé.

— Écoute, j’ai bien l’intention de découvrir ce qui se trame sous nos pieds. Ce qui risque d’arriver à Rebecca, et ce qui est sans doute déjà arrivé à Angie.

— Attends, tu ne penses tout de même pas que…

Il se dandine sur place puis se lève et secoue la tête.

— Cette affaire ne me plait plus du tout, mec ! On est censés prendre du bon temps, pas déjouer une enquête policière ! Tu sais quoi, je vais m’offrir une petite cure de jeunesse.

Il ajoute, sa serviette sur l’épaule :

— Et tu ferais bien d’en faire autant !

 

 

À l’intérieur du chronothérapeute

Rebecca

 

Grâce aux caméras placées dans toute la station, je repère les cabines alignées les unes à côté des autres dans un couloir vitré qui donne sur le solarium. Une femme est en train de sortir de l’une d’elle. Elle se dirige sous une douche et s’y rince longuement. Sa peau rougie par le bain de jouvence qu’elle vient de recevoir retrouve une apparence normale, et la femme pousse des exclamations de joie en se regardant sous toutes les coutures. C’est donc vrai : on peut rajeunir ?

Aussitôt cette pensée formulée, des dizaines d’images défilent dans ma nouvelle conscience. Celles d’hommes et de femmes allongés sur des brancards et reliés au chronothérapeute. Endormis, ils semblent paisibles. Mais quelque chose se produit durant leur sommeil. Un changement, subtil d’abord, et qui s’intensifie. Leurs corps deviennent flasques. Quant à leurs visages… Des rides se creusent, déformant leurs traits à une vitesse ahurissante !

Une fureur parcourt toutes mes connections. Ainsi, pour que certains rajeunissent, d’autres doivent vieillir ? Une rage sans nom provoque des courants électriques dans tout le système qui m’abrite et que je suis désormais. Mon attention se porte de nouveau sur les cabines. Ils veulent rajeunir ? Eh bien, c’est ce qu’on va voir !

Toute la colère, la haine contenues depuis trop longtemps, éclatent dans mes circuits. La vapeur diffusée dans chaque cabine s’en imprègne. Des cris de stupeur ne tardent pas à se faire entendre. Une femme qui venait d’entrer dans la sienne tente d’en sortir, mais je verrouille la porte. À travers la vitre, je distingue son corps qui s’agite. Elle cogne de toutes ses forces et hurle, en vain. En moins de cinq minutes, son dos se voûte et ses gestes deviennent de plus en plus lents. Curieuse de constater le résultat, je déverrouille sa cabine d’un clic. Celle qui en sort a au moins quatre-vingt ans. Elle peine à avancer, courbée sous le poids des années.

— Que m’arrive-t-il ? prononce-t-elle avec difficulté.

Un homme dont la silhouette éveille un souvenir en moi la soutient pour ne pas qu’elle s’effondre. Il jette des regards affolés dans toutes les directions puis se précipite sur l’une des cabines occupée et se met à tambouriner de toutes ses forces. À l’intérieur, une forme se contorsionne. Intriguée par l’homme que je ne réussis pas à situer dans ma mémoire, je déclenche l’ouverture de la porte. Un vieillard en sort, une casquette rouge à la main.

— Paulo ! hurle l’homme dans les bras duquel le vieux s’écroule.

Ce nom… Les journalistes ! L’homme penché au-dessus de son ami et qui le berce dans ses bras est celui qui a tenté de m’ouvrir les yeux, tout à l’heure. Mais je ne l’ai pas écouté.

Un sentiment de détresse, beaucoup plus fort que la haine, me traverse. Qu’ai-je fait ? Je ne vaux pas mieux qu’eux. L’image d’un enfant me parvient. Mon fils… La vague de tristesse qui m’envahit fait trembler mon système entier et disjoncter mes synapses les unes après les autres. Chaque rouage se brise. Ma conscience diminue et se restreint jusqu’à devenir une vague perception.

À l’instant de m’éteindre, une dernière pensée m’enveloppe : celle du temps de nouveau libre d’agir à sa guise. 

 

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