Sarcophage (Le)

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Illustrateur / Dessinateur: 

Bonjour à toutes et tous.


Nouvelle chronique bd pour évoquer un formidable et redoutable album d’une soixantaine de pages, Le sarcophage, datant de 2000, publié par Dargaud.

L’album fait partie de la série des Correspondances de Pierre Christin, scénariste de nombreux albums de bd avec Enki Bilal notamment, qui est donc au dessin pour ce vrai faux livret publicitaire d’un projet de Musée de l’Avenir, situé en Ukraine.


Plus précisément autour du sarcophage recouvrant le réacteur nucléaire de Tchernobyl ayant explosé en 1986, suite à des exercices périlleux simulant une catastrophe...

Le livret mêle fiction et extraits de témoignages de gens ayant vécu la période d’après catastrophe comme ingénieur, militaire, volontaires et stalkers qui ont contribué au péril de leur vie à construire ce sarcophage, à limiter les conséquences désastreuses de l’explosion du réacteur pour la région et la planète entière, il faut le rappeler.

Le grand intérêt et la grande force du livret n’est pas d’illustrer ce qui s’est passé - ce qui par ailleurs serait sans doute un projet artistique à la hauteur de Bilal et Christin.

Non, le livret se présente comme une maquette de livret promotionnel, censé donner envie aux investisseurs de financer ce Musée de l’Avenir, sur le site même de la faillite du fameux « Progrès » technoscientifique...
Premier cynisme, faire oublier les conséquences de ses actes, de son idéologie « progressiste » à l’endroit où normalement le doute le plus profond devrait surgir.

Montrer, exposer, vendre du frisson sans risque pour mieux assurer l’oubli total... Stratégie postmoderne tout à fait crédible, l’idée même du livret est très bonne.

Nous sommes donc confrontés non pas à la catastrophe, mais à ses causes... La démence de la croyance en la technologique comme nouvelle magie, le cynisme des puissances tant politiques qu’économiques et leur mépris des populations.


Dans la Russie soviétique, qui était un capitalisme d’Etat face à un capitalisme privé à l’Ouest, le nucléaire était élevé au rang de religion d’Etat, infaillible, amenant le progrès social avec l’électricité... Là où dans le capitalisme libéral, la catastrophe arrivera par une volonté farouche de réduire les coûts au profit des actionnaires anonymes...

Sans vouloir décrire dans le détail les différentes salles du Musée, il se veut moderne, dépassant les musées à l’ancienne du 19ème et 20ème siècle. L’ambiance est à la plongée du visiteur dans une hyper réalité glaçante où il est le propre acteur de sa propre œuvre.

Musée de l’Avenir, un projet qui vous enthousiasmera, qui régénéra chez le visiteur son amour du Progrès, du Futur rayonnant de possibilités infinies...

Chaque salle paraît tristement plausible. Christin devine à merveille jusqu’où serait prêts à aller les promoteurs pour attirer le client...
Car outre son imagination perspicace, le vrai faux livret publicitaire de Christin et Bilal est une saine réflexion sur ce qu’est la mémoire officielle symbolisée par le Musée, au-delà du drame humain de Tchernobyl.


Un musée ne tient pas du hasard, mais est un acte de construction d’un passé, voir d’un présent pour les musées d’art moderne par exemple, un acte d’idéologie destiné à édifier le public, à l’influencer.

Un Musée préhistorique, sur les chapeaux, sur les arts premiers, sur Staline, sur tout et n’importe quoi, a d’abord pour fonction de se justifier, de se dédouaner, de repousser une vérité parfois désagréable.

Pourquoi uniquement des arts africains et océaniens aux Musée des Arts Premiers de Paris ? Pourquoi pas slave, basque, breton, norvégien ?
Parce que ces peuples n’ont pas été considérés comme suffisamment primitifs dans l’imaginaire français construit avec la colonisation ?

Montrer de l’abstrait, le promouvoir, est-ce un combat contre le figuratif, devenu atrocement populaire ?

Le sarcophage mêle donc très intelligemment deux vastes sujets, Tchernobyl et son cortège de questions sur la techno-science, auxquelles l’Humanité ne va plus pouvoir très longtemps, échapper et l’acte mémoriel lui-même.


Livret prémonitoire également, puisque aujourd’hui même, depuis plus de dix ans en fait, un tourisme « catastrophe » a surgi. Des cars de touristes venus du monde entier se succèdent toute l’année. Ils viennent visiter les lieux, la ville de Pirpiat abandonnée à proximité du site nucléaire, la région. Ce qui d’ailleurs donne du travail à la population...

Travail terrible, puisqu’il consiste inlassablement à revivre leur drame...

Pour revenir au sujet, un très beau film sur ce sujet, sorti en 2012, est à voir, La terre outragée de Michale Boganim. Une sortie en dvd ne devrait pas tarder je l’espère.


Pour en savoir plus
La supplication, Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse de Svetlana Alexievitch

Le sarcophage

Scénario : Pierre Christin

Dessin : Enki Bilal

Editeur : Dargaud

Date : 2000

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