CHATTAM Maxime 02

Ton premier souvenir d’écriture ?

Avant de devenir professionnel ?

Oui, ton tout premier souvenir d’écriture.

Il est lié à un film. Stand By Me de Rob Reiner. J’avais adoré ce film. Je devais avoir quatorze ans lorsque je l’ai vu. Et c’était ce que je voulais vivre dans la vraie vie. Une aventure humaine à nulle autre pareille. J’étais tellement frustré à la fin du film, que j’ai dû voir en cassette vidéo, que je me suis dit : « Ok, je ne pourrais jamais vivre ça, donc je vais me l’inventer ». Je me suis assis devant la machine à écrire de ma mère et j’ai réécris Stand By Me, à deux doigts. Sauf que les personnages, c’étaient mes amis de l’époque. Lorsque je suis arrivé à la séquence du train, sur le pont, dont tout le monde se souvient bien, j’ai ajouté des tas de choses et c’est devenu une histoire complètement différente. Cela devait faire 15, 20 pages. Parce que j’allais à l’essentiel. Et c’était affreusement mal écrit ! Mais cela m’a donné envie d’écrire, de raconter des histoires. Cela m’a mis le pied à l’étrier. Et je ne me suis plus jamais arrêté d’écrire.

 

Ton premier souvenir d’écrivain « professionnel ».

Il y en a plusieurs. D’abord, juste avant de devenir écrivain, j’étais en train d’écrire L’âme du mal. J’écrivais le soir, en rentrant chez moi. Je me souviens de cette persévérance. Je rentrais et je n’avais qu’une seule chose en tête. Ecrire cette histoire. Tout le reste, je le mettais de côté. La vie sociale, la vie sentimentale… Je me posais devant mon écran, je relisais ce que j’avais écrit la veille pour me remettre dans le bain et c’était reparti. Jusqu’à une heure du matin. Même si le lendemain, je savais que je devais me lever pour aller au boulot. La satisfaction de coucher cette histoire sur papier… Lorsque je terminais un chapitre, je me souviens que je me disais « Alors… Quelle serait la fin logique, ou les fins logiques possibles ? ». Et lorsque j’avais listé toutes ses possibilités, je cherchais autre chose. Un truc inattendu. En fait, j’avais les grandes articulations du roman, mais il me manquait pas mal de détails. Donc, je tentais de me surprendre moi-même. Avec la certitude, ou presque, que cela surprendrait le lecteur, puisque je ne savais pas vraiment où l’histoire ou mes choix « illogiques » me mèneraient.

 

Ta grande déception d’écrivain ?

Houlà ! Je… Je ne pense pas qu’il y en ait. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y a des déceptions d’écrivain ou d’écriture. Il peut y avoir des difficultés d’écriture. Les difficultés, c’est inévitable. Parce que je me fixe des objectifs, des choses que je veux réaliser à travers mon écriture et parfois, je me rends compte que la difficulté est énorme. Que je suis déçu par la première version, ou la deuxième, ou la dixième. Dans ces cas-là, je retrousse mes manches. Et je sais que je vais en chier, parce que cela peut prendre du temps. Mais quand je sais que je peux y arriver, c’est juste du travail et encore une fois de la persévérance. J’ai donc des souvenirs de moments compliqués, laborieux, de véritables acharnements, mais c’est juste une question de temps. Parfois on obtient un chapitre ou une histoire idéale en quelques jours ou quelques semaines. Et puis parfois cela peut prendre quelques mois. On ne sait pas pourquoi.

 

Cela veut-il dire qu’il n’y a pas d’histoires abandonnées dans le passé de Maxime Chattam ?

Il y a des histoires que je n’ai pas terminées. Mais pour d’autres raisons. Par exemple, il y a une série que j’ai débuté qui s’intitule Le club des Sublimes. C’était une sorte de pastiche, un clin à Sherlock Holmes, que j’adore. C’est une saga en cinq tomes, que j’ai débuté à vingt ou vingt-deux ans. Avant d’écrire Le cinquième règne. J’avais écrit les cent cinquante premières pages du tome 1. J’avais structuré les cinq tomes. Et je me suis arrêté. Mais je ne me souviens pas pourquoi. J’avais une vie à l’époque, il fallait que je bosse, que je mange, que je paie mes factures. Je ne me souviens pas pourquoi je me suis arrêté de l’écrire. Je sais juste que je me suis dit que j’allais écrire autre chose. C’était Le cinquième règne. J’ai toujours, dans un coin de ma tête, l’articulation de ces cinq tomes. Elle se déroule de 1935 à 1939. Elle met en scène le fils illégitime de Sherlock Holmes, avec une troupe de types un peu étranges. C’est une saga historique, policière, humoristique, très éloignée de ce que j’écris aujourd’hui. Le manuscrit est toujours dans un coin de mon ordinateur. Qui sait si je ne le reprendrai pas un jour. Parmi les difficultés, il y a aussi le roman que je suis en train d’écrire en ce moment. Un thriller. Que j’ai déjà écrit deux fois. C’est un thriller qui parle de terrorisme. Dans la première version, on évoque une double prise d’otages, qui se couvrent l’une l’autre. J’en avais écrit deux cents pages lorsque la double affaire de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher s’est déroulée. Je n’avais, du coup, plus du tout envie de continuer. Ensuite, dans la seconde version, j’avais gardé le même personnage central, les mêmes interrogations sur le terrorisme, mais plutôt qu’une prise d’otages, il s’agissait d’un attentat… dans une salle de concert. Donc, suite à l’attaque du Bataclan, j’ai de nouveau abandonné le roman. J’étais écœuré, choqué, comme tout le monde. Je ne voulais plus écrire sur le sujet. Finalement, là, près d’un an après, je m’y suis remis. Avec une nouvelle idée. Parce que je suis convaincu que c’est un sujet important. Je sais aussi que le thriller, c’est un excellent moyen de dire de nombreuses choses sérieuses, sous le couvert du divertissement. Vu que j’ai beaucoup de choses à partager, à dire, sur le sujet, j’espère que cette fois, c’est la bonne et que j’irai jusqu’au bout de ce roman.

 

Le cinquième règne

C’est le deuil de mon adolescence. Je l’ai écrit pour ça. Je ne l’ai jamais relu, mais le souvenir que j’en ai, c’est celui que l’on a de sa propre adolescence. De la nostalgie, du bonheur… C’est un livre que j’adore. Vu ce que j’éprouve lorsque j’y repense, je crois que j’écrirai encore longtemps sur l’adolescence.

 

 

L’âme du mal

Mon premier thriller. Ma première expérience. A l’époque, j’avais l’impression de tout donner. De faire le meilleur roman du monde ! Bon, après, avec un peu de recul, je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout cela. Mais c’était une telle sensation de bonheur à l’écriture et puis j’ai mis trois ans de ma vie pour l’écrire. J’en suis vraiment très content. J’avais vingt-quatre ans lorsque je l’ai écrit. Et aujourd’hui, je me dis parfois que je l’écrirais encore de la même manière. Alors soit, je n’ai pas évolué… Soit j’avais un coup d’avance du moi-même à 24 ans (rires). J’ai peur de ne pas avoir assez évolué.

 

In tenebris

Très content de ce bouquin ! Une chouette expérience d’écriture encore. J’ai adoré les repérages dans New-York. Des repérages un peu chauds parfois ! Un roman plus noir que le premier. Lorsque j’étais en train de l’écrire, le premier sortait. Avec un certain succès. Donc je l’ai un peu écrit avec une pression sur les épaules. Avec cette impression que je n’avais pas le droit de me tromper. Le premier, les gens l’aiment bien, donc le deuxième doit être meilleur. Je l’ai écrit, parfois, avec la boule au ventre. Mais très vite je me suis dit : « Stop ! Il faut que je sois dans le plaisir de l’écriture ». J’ai alors mis de côté toutes ces questions, ces peurs. Et j’ai réussi à écrire le roman, sans me prendre la tête et en pensant uniquement au plaisir de l’écriture.

 

 

Maléfices

Il fallait boucler la bouche. Dire adieu au personnage de Josh Brolin. Parce que je savais que je ne voulais pas écrire, toute ma vie, sur le même personnage. Le meilleur moyen, c’était donc de finir en beauté, avec une belle histoire qui raconte la fin du personnage. Je voulais juste ne pas le tuer. Je voulais trouver un autre moyen de cesser d’écrire sur ce personnage, sans forcément le tuer.

 

Les arcanes du chaos

Un roman qui compile près de dix ans de recherche. Je pense que j’ai réussi avec ce roman un truc que je n’avais pas fait dans L’âme du mal, c’est que j’ai réussi à ne pas être didactique. J’aborde beaucoup d’éléments complexes, de faits historiques dans le roman, sans être trop didactique. Dans L’âme du mal, j’étais allez trop loin dans ce sens. Par rapport à la criminologie par exemple. J’aime aussi qu’aujourd’hui encore, les gens me demandent si je crois tout ce que j’ai écrit dans le roman. J’aime beaucoup quand on me pose cette question !

 

Prédateurs

Ce livre, c’est le rêve d’un cinéphile. J’ai adoré Il faut sauver le soldat Ryan et j’ai adoré Seven. Et je me suis dit « Pourquoi personne ne pense à faire une histoire à la Seven, dans le contexte du débarquement ? ». Et comme je ne trouvais pas de roman de ce type, je me suis fait plaisir. Je l’ai écrite moi-même, cette histoire.

 

La théorie Gaïa

Ce roman prend corps dans l’idée que… je n’avais pas de famille. Enfin, je n’étais pas marié, je n’avais pas d’enfant à l’époque. Mais j’avais très envie d’en fonder une. Je suis parti de cette simple idée lorsque j’ai écrit le roman. C’est paradoxal, parce que c’est un thriller. Mais c’est un thriller qui parle d’une famille qui se décompose, qui parle d’amour. La fin est d’ailleurs… étonnante. Pour un roman qui parle d’amour. Je l’ai écrit en pensant à l’amour entre les êtres humains, alors que c’est une histoire terriblement sombre.

 

Leviatemps

C’est une histoire spéciale pour plein de raisons. Je suis un obsédé de la notion de temps. Donc, forcément, la rencontre entre le thriller et le temps, pour moi, c’était juste une question de… temps ! La fin du roman est très proche du fantastique, alors qu’il ne s’agit pas du tout d’un roman fantastique. C’est aussi un roman où, pour la première fois, je me suis autorisé un truc que j’avais toujours refusé jusque-là : mettre en scène un romancier. Il y a donc une forme de projection. Et dès le début de l’écriture, j’ai voulu l’assumer complètement. J’ai donc donné mon prénom, Guy, au personnage principal, ainsi qu’un pseudonyme qui est une anagramme de mes deux noms de familles. Quant à l’héroïne, elle s’appelle Faustine. Un prénom que j’ai choisi, un jour que j’écoutais une émission de radio sur Europe 1. Animée par une certaine Faustine Bollaert. Un an plus tard, je me retrouve dans cette émission pour parler du bouquin, je rencontre donc la « vraie » Faustine. C’est aujourd’hui ma femme !

 

Le rituel des abysses

C’est un livre miroir. C’est vraiment le miroir de Leviatemps. Je conseille d’ailleurs toujours au lecteur de lire les deux livres en enfilade. Parce que si vous pensez avoir tout compris à la fin de Leviatemps, vous découvrez dans le Rituel, que rien n’est vraiment tel que vous l’imaginiez. Que la vérité peut être un leurre. Je me suis d’ailleurs souvent posé la question d’une publication unique des deux romans. Mais cela aurait fait un trop gros pavé… Ou alors, les sortir tous les deux en même temps. Maintenant, en version poche, il existe un volume unique, en version collector. Peut-être aurait-il fallu insister aussi davantage, sur la couverture, sur l’aspect double volume. J’ai mis longtemps à choisir le décor de ce roman. Je savais seulement que je voulais le situer à la jointure des deux siècles, pour pouvoir parler de ce que nous vivons aujourd’hui. Les tensions, les transformations, la peur de l’étranger, les dissensions sociales… Placer le roman dans la cadre de l’Exposition universelle de Paris, en 1900, qui était une sorte de vision utopique du monde, plutôt que la réalité vécue par les gens de la rue, cela avait tout son sens.

 

Le sang du temps

Pour moi, c’est une première rupture de ton dans ma carrière. J’avais terminé Maléfice et j’avais une idée un peu différente. Je me suis dit : tant pis ! Je m’offrais le droit de m’éloigner un peu de la ligne thriller pur et dur des précédents romans. Je voulais que l’histoire se déroule au Caire, soit rythmée, soutenue. Alors que la partie moderne, je la voulais plus lente, presque pour refléter l’ennui du personnage principal, qui découvre l’intrigue historique à travers un carnet de notes. Et lorsque ce carnet est volé, je voulais que le lecteur se retrouve dans la même position que l’héroïne, avec cette envie de retrouver le carnet afin de connaître la suite de l’histoire. Je voulais aussi que le lecteur se pose, jusqu’au bout, la question de la réalité et de la fiction, de la vérité et de l’invention.

 

Que ta volonté soit faite

C’est effectivement un roman qui aborde, par un autre biais, d’une autre manière, l’interrogation sur la réalité et la fiction. Sur le pouvoir de l’écrivain et celui du lecteur face à un texte. J’ai des obsessions, comme tous les auteurs, je pense. Pour moi c’est le Mal, ce sont les souterrains, tant physiquement que les souterrains de notre conscience, de notre psyché. Je suis aussi obsédé par la notion de vérité. C’est quoi la vérité ? Dans la vie de tous les jours ? Et dans l’Histoire ? Et dans un roman ? Peut-on toujours faire confiance au narrateur ? Et quel est le pouvoir du lecteur face à cette histoire qui lui est racontée ?

 

La promesse des ténèbres

C’est peut-être mon livre le plus dur. Celui où j’ai été le plus loin. Où je ne me suis rien interdit. Et c’était important. Le sujet du bouquin demandait cette force. C’est un moment de ma vie où je n’étais pas bien du tout. J’étais très malheureux. Et cela se ressent dans le roman. C’est d’une terrible violence. C’est la destruction d’un couple qui va jusqu’à la mort. L’excès dans le mensonge. A un point tel que l’innocent dans le couple sera puni. Puisqu’elle ne connaîtra jamais la vérité. Alors que le lecteur, lui, la découvrira. Mais c’est un livre que j’aime beaucoup. Aujourd’hui, je serais sans doute capable d’écrire un roman aussi sombre… Mais je n’en ai aucune envie.

 

La conjuration primitive

Mon retour au thriller pur et dur. Après mes divers projets, j’avais envie de revenir aux fondamentaux. A l’enquête policière. Mais à la différence de la saga de Josh Brolin, j’avais envie de quelque chose de plus européen. Je voulais donc que l’enquête soit menée par des Français. Même si l’histoire couvre plusieurs pays d’Europe. J’aime beaucoup ce roman pour diverses raisons. D’abord, il y a le twist, au milieu de l’histoire. Un retournement que j’ai longtemps hésité à faire. Mais… SPOILERS… Tuer le héros du roman au bout de deux cents pages, ce n’est pas courant. Le lecteur se dit alors : « Mais comment c’est possible ? Qui va être le héros du roman ? Il n’y en a pas d’autre ! ». Et j’ai trouvé, je pense, un moyen logique de relever le défi. Du coup, ce n’est pas temps l’identité du méchant qui est intéressante, mais tout ce qui l’entoure.

 

La patience du Diable

C’est la suite de la Conjuration… Et il y a plein de choses qui fonctionnent bien dedans. Je ne le renierai jamais. Mais si on devait me demander quel est votre roman qui vous plait le moins, ça serait certainement celui-là. C’est un excellent divertissement, mais thématiquement, il n’apporte pas grand-chose par rapport à ce que j’ai fait dans ma carrière de romancier. Dans chacun de mes livres, je sais exactement les thèmes que je veux traiter. Dans la Patience, j’ai insisté trop sur des thèmes que j’avais déjà traités dans d’autres histoires. Je n’ai pas de regret, parce que c’est un roman qui m’a permis de faire avancer les personnages que l’on retrouvera dans d’autres romans, mais en ce qui concerne le sous-texte, je trouve que c’est un peu court.

 

 

Le coma des mortels

Ce roman correspond à une envie. Je pense que dans la carrière d’un romancier, c’est important de suivre ses envies, d’aller là où on le sent. J’ai eu envie, donc, de faire un roman différent. Avec un ton totalement autre… Avec beaucoup d’humour, du cul, des digressions philosophiques, parfois amusantes, parfois un peu crétines. J’ai eu envie de ça. Vu l’état de la société française, avec les attentats, etc., je n’avais pas envie de sortir un thriller noir, ni même de me lancer dans le dernier tome d’Autre-Monde, parce que je n’étais pas prêt. Alors, je me suis penché sur le Coma, je l’ai relu… Et je me suis rendu compte que je l’aimais, ce roman, beaucoup. Et qu’il fallait le publier. Mais je savais que c’était un risque. Parce que sur la couverture, c’est Maxime Chattam qui apparait. Alors les lecteurs vont se dire, c’est un « Chattam », c’est un thriller. Mais ce n’est pas le cas. J’ai pourtant choisi de faire confiance aux lecteurs. Après dix pages, ils vont comprendre que ce n’est pas ce qu’ils croyaient et j’espère qu’ils vont prendre la peine d’aller jusqu’au bout, avant de décider s’ils aiment. Ou pas. Mais s’ils prennent la peine de finir le roman. Moi j’ai fait mon « boulot ». Je l’aime cet univers ; d’ailleurs, il y aura une suite. Je ne sais pas encore quand je vais l’écrire, parce qu’il me faudra un peu de temps, mais je l’écrirai, c’est garanti. Ceci dit, je comprends que certains n’aient pas aimé. Si vous mettez 20 euros dans un roman de Chattam parce que vous adorez vous divertir avec un bon thriller, après vingt pages du Coma, vous avez de quoi être déçu. Pourtant, c’est écrit sur la quatrième de couverture ! Et le roman est sorti dans la collection littérature, pas dans la collection thriller. Parfois, cela prend du temps de faire passer le message.

 

Il y a un mot qui revient souvent dans tes réponses, c’est le mot « envie ». Et lorsque tu as eu une envie d’autre chose… Est né… Autre-Monde.

J’ai retrouvé récemment les premières notes sur Autre-Monde… Elle se trouvait au dos des papiers de listings de commande de… la FNAC. Quand j’y travaillais comme libraire. C’était en… 2001 ! C’est là que j’ai eu cette idée d’un monde où il n’y aurait plus d’adultes. Que des enfants. Des enfants qui découvraient que certains adultes avaient tout de même survécu et les affrontaient. Il était aussi question de passage à travers des miroirs, des éléments qui ont disparu par la suite. Il a fallu ensuite six ans (puisque le premier Autre-Monde déboule en 2007) pour que je me lance dans l’écriture du premier tome. Je pense que j’avais besoin d’une première pause dans mon univers de thriller. Pendant six mois, un an, j’avais envie d’écrire autre chose qu’un thriller. J’ai donc repris l’idée d’Autre-Monde, qui bouillonnait toujours dans un coin de mon imagination. Je pense que c’est aussi ces six ans, ce temps qu’il a fallu pour que je me sente légitime, crédible dans mon envie d’écrire autre chose. Je ne voulais pas écrire un thriller et j’ai écrit autre chose. J’étais tellement fier de ce premier tome que je suis tout de suite allé voir mon éditeur. Je lui ai proposé de s’engager pour trois tomes. Quel que soit le résultat des ventes. Je voulais que ces romans soient hors de mon contrat habituel, parce que je voulais absolument que l’histoire soit publiée dans son intégralité. Parce que je déteste les romans, les histoires qui ne s’achèvent pas parce que le succès n’est pas au rendez-vous. C’est injuste pour les lecteurs qui s’y sont attachés. L’éditeur était d’accord. Sauf qu’au fil de l’écriture, j’ai réalisé qu’il me faudrait non pas trois, mais sept tomes pour conclure l’histoire ! Alors là, l’éditeur m’a dit : « OK, mais bon, voyons toujours les trois tomes ». Mais bon, ça a fonctionné, j’ai renégocié le contrat et la saga est aujourd’hui complète. C’est une très longue saga, qui constitue un beau moment de ma vie.

 

L’idée d’articuler la saga de façon « continentale » entre les Etats-Unis d’abord et puis l’Europe, c’était déjà bien présent dans tes premiers synopsis ?

Oui, tout à fait. Autre-Monde, c’est de la fantasy, c’est de l’aventure, mais c’est aussi un moyen pour moi de parler de philosophie, de religion, d’histoire de l’humanité. Donc, très vite, lorsque j’ai tracé le plan de toute cette aventure, je me suis retrouvé avec trois tomes très denses. Donc, je suis passé à sept tomes, pour que l’histoire respire un peu. Alors, ensuite, puisque j’avais envie de parler de l’histoire de l’humanité, j’ai débuté par une première trilogie sur le « nouveau Monde », pour ensuite enchaîner sur trois tomes dans l’ancienne Europe et enfin, sans en dévoiler de trop au lecteur, un dernier tome qui se déroule, en partie, dans le berceau de notre histoire moderne, celle qui débute avec l’écriture, c’était logique. C’était une relecture inversée de notre histoire. En sous-texte. Une fois de plus, le lecteur qui désire lire un bon divertissement, une aventure de fantasy, il est servi. Et, dans le même temps, j’aborde toute une série de thématiques, en filigrane.

 

Pour cette grande aventure de fantasy, tu fais tout de même le choix de jeunes héros… Un choix en rupture avec ton lectorat de thriller. Tu n’as pas imaginé, un instant, faire d’Autre-Monde une saga de fantasy adulte ?

Non, du tout. Parce que dès 2001, lorsque j’ai pris les premières notes que j’évoquais tout à l’heure, je savais que l’histoire serait vue à travers les yeux d’un adolescent. C’était une évidence pour moi. Parce que, si Le cinquième règne est le roman qui évoque le deuil de mon adolescence, la réalité c’est que ce deuil, je ne l’ai jamais fait. Je reste un adolescent. Et j’écrirai sur les adolescents encore longtemps. C’est une de mes marottes. Donc Autre-Monde, c’était une nouvelle occasion de mettre en scène un ado… au milieu d’autres ados. Cela permet aussi de parler de la perte de l’innocence, du paradis perdu… Ce n’est pas un hasard si la ville où les adolescents du roman parviennent à s’épanouir, ils la baptisent Eden. Où se trouve un immense pommier. Et puis… Lorsque j’ai commencé à écrire Autre-Monde je pensais que j’écrivais pour la jeunesse. Pour un lectorat plus jeune. Mais rien n’était plus faux. J’écrivais d’abord pour moi, puis pour un lecteur imaginaire qui n’avait pas d’âge particulier. Et au fur et à mesure de la série, le ton se durcit, les nuages s’accumulent. J’aborde la sexualité et d’autres thèmes très matures. J’ai aujourd’hui des lecteurs adolescents qui viennent vers la saga, mais dans un premier temps lors des premières sorties, avec des ventes qui dépassaient les cent mille exemplaires, les romans étaient achetés par des adultes. Je m’en rendais compte lors des dédicaces. Par la suite, les jeunes se sont emparés des bouquins, sans doute à travers leurs parents, des cadeaux… Et là on se retrouve avec un tiers de lecteurs jeunes et deux tiers d’adultes.

 

 

Et ces lecteurs adultes étaient-ils des lecteurs des thrillers de Maxime Chattam ? Où est-ce un lectorat totalement différent ?

Il y a un truc amusant. Au tout début, les premiers tomes d’Autre-Monde était surtout lu par mes lecteurs de thriller. Et puis, au fur et à mesure, lors des rencontres, mes lecteurs de thriller ont commencé à me dire : « J’adore vos thrillers, j’ai tenté de lire Autre-Monde, mais c’est pas mon truc ». Par contre, les chiffres de vente d’Autre-Monde restaient constants. Donc, ces lecteurs de thriller qui ne me suivaient plus sur la saga étaient remplacés par d’autres lecteurs. Et ces lecteurs-là me disaient « houlà, vos thrillers, ça me fait trop peur, je ne peux pas les lire ». Donc au fil du temps, je me suis retrouvé avec un cœur de lecteurs qui me suivent dans mes deux univers, sans discernement. Et deux groupes de lecteurs, l’un qui lit Autre-Monde, sans me suivre sur le terrain du thriller… et vice-versa. Et je ne saurais pas te dire comment ce développement des deux lectorats s’est opéré.

 

Un phénomène qui navigue entre fantasme et réalité c’est celui du livre électronique. Quel est ton regard d’auteur sur la chose ?

Je suis assez surpris de constater que la part du digital dans l’édition est aussi dérisoire. Je pensais que ça grimperait assez vite et il n’en est rien, aucun auteur en langue française ne parvient à vendre véritablement beaucoup en numérique. Nous ne sommes pas du tout dans la lignée des USA, où la part du digital pouvait parfois monter à 30% des ventes d’un auteur. En France c’est à peine 5%... et encore. Cela dit, même aux USA les ventes digitales baissent pour la première fois. Le phénomène s’essouffle, il a probablement atteint son rythme de croisière. C’est assez surprenant puisque pas mal de jeunes lecteurs qui arrivent ont pour la plupart une tablette entre les mains depuis qu’ils sont petits, donc habitués. Mais non, le livre papier reste la référence, même pour eux. Je crois qu’il existe un attachement profond à l’objet. La preuve en est avec le succès des éditions spéciales et du soin qu’apportent enfin les éditeurs à la beauté du livre en France, avec jaquette, gaufrage, vernis sélectif, etc. Il était temps.

Pour ma part, je fais partie de la vieille école, j’aime les livres, m’en entourer, les toucher, les sentir, les regarder... donc j’achète très peu de numérique...

Concernant l’autoédition, c’est un phénomène assez amusant. Bien entendu, il y a à boire et à manger... Il n’y a aucun filtre, aucun tri, aucun travail éditorial, du coup la plupart des livres qui débarquent sont assez... disons « légers » côté écriture, cohérence et rigueur. Mais au milieu de tout ça il apparaît parfois quelques perles qui ont échappé aux éditeurs professionnels. En général ça finit par se remarquer et l’erreur est corrigée même s’il faut encore se méfier des « succès » réels car textes qualitatifs et des « succès » davantage liés à une excellente campagne marketing orchestrée en général via les réseaux sociaux pour des textes finalement mauvais. A titre personnel, je ne cherche plus à lire ce qui sort de l’autoédition pour les raisons évoquées ci-dessus. On passe trop de temps à trier pour trouver une bonne histoire bien écrite avant de tomber sur du beau boulot. Je n’ai plus assez de temps pour ça. Je préfère du coup me recentrer sur mon libraire pour sélectionner les romans que je vais lire. Mais pour les auteurs qui ont envie de se faire plaisir à écrire et envie de partager leur travail avec tout le monde, c’est pratique ! A condition qu’ils ne se fassent pas arnaquer par tous les micros éditeurs un peu douteux qui ont flairé un filon...

 

Il y a un aspect de ta carrière que l’on aborde moins, forcément puisqu’il ne s’agit pas de ton activité principale, il s’agit de ton travail de réalisateur. Tu as déjà réalisé deux courts métrages, dont un pour le parc Disneyland Paris. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette expérience ?

En fait, durant toute mon enfance, mon adolescence, j’ai vu des tas de films. Et j’ai rêvé de faire du cinéma. Sans jamais m’en donner des moyens. Contrairement à l’écriture. J’écrivais, tout le temps, sans savoir que cela deviendrait un métier. Et lorsque j’ai réalisé que je pouvais en faire un métier, j’ai jeté toutes mes forces dans la bataille. Ce que je n’ai jamais fait pour le cinéma. Pourtant le cinéma et la télé font partie de moi. J’ai plus de sept mille DVD et Blu-Ray à la maison et mes références sont davantage à trouver du côté du cinéma, ou de la télé, que de la littérature. Même si j’aime aussi beaucoup les bouquins. L’expérience du cinéma, celle que j’ai vécue, était formidable. Mais en même temps, elle a confirmé tout ce que je pensais. C’est une expérience très chronophage. C’est aussi un travail d’équipe. Et c’est un travail hiérarchisé. C’est-à-dire qu’à un moment c’est le producteur, la chaîne de télé qui décident au final. Et on ne fait pas ce qu’on veut. Donc, j’ai très envie de faire un long métrage. Le producteur de mes courts, Alexandra Gavras, me tanne souvent parce qu’il sait lui de quoi ça va parler. J’ai tout le film en tête, il me faut juste écrire le scénario. Mais ce n’est pas ma priorité. Je n’arrive pas à trouver le temps pour le faire. Si je me lance, cela me prendra deux ans de ma vie. Deux ans pendant lesquels je vais avoir du mal à écrire des romans. Ecrire, c’est un tel plaisir pour moi. Devant mon clavier, je fais ce que je veux. J’ai toute liberté. Aucune limite d’imagination, de budget, rien. En plus, j’ai la chance que cela marche, donc je ne suis pas obligé de faire des choses. Je suis mon seul maître. J’ai besoin d’écrire. Et m’en passer… C’est difficile. Ceci dit, il y a aussi un tel plaisir à travailler en équipe, avec des techniciens de qualité, en tournage, en post-production… Ca me démange de le faire !

 

La liberté de l’écrivain est effectivement totale. Par contre, derrière une caméra, il n’est pas toujours évident d’obtenir ce que l’on veut. On ne dépend pas juste d’une phrase, ou d’un choix de mot. Sur tes courts, as-tu vécu la frustration de ne pas obtenir ce que tu cherchais ?

Cette émotion-là, cette frustration, elle est inhérente au processus créatif du cinéma. Si on le sait, les choses se déroulent plutôt bien. Je suis un passionné de cinéma. Je le regarde, mais je regarde aussi comment il est fait depuis longtemps. Avant de me lancer sur le court métrage, je savais que le cinéma est fait de cette frustration. Alors parfois, on s’énerve, on gueule même, mais ensuite on revient sur terre. On réalise que le cinéma c’est un compromis perpétuel. Au service d’un film, d’une narration, d’une mise en scène. Je m’étais bien renseigné avant de partir à l’aventure. Alors, tous les jours j’éprouvais cette frustration, mais très vite je la mettais de côté et je me disais : « Allez, c’est bon, on avance ». J’étais vraiment préparé à vivre cela. A un point tel que sur le court métrage pour Canal+, Alexandra Gavras me disait parfois : « Tu es satisfait ? Vraiment ? Parce que si tu ne l’es pas, on peut refaire une prise ». Un luxe ! Alors que personnellement, en « gestion de frustration » je me disais « Ok, c’est bon, c’est pas exactement ce que je voulais, mais on a ce qu’il faut, faut qu’on avance sur le planning ».

 

De l’autre côté de la barrière, par contre, les adaptations de tes romans, rien ne s’est encore concrétisé, sauf un très mauvais téléfilm diffusé en fin de soirée sur TF1, exact ?

Oui, un téléfilm diffusé à la sauvette… Et négocié dans mon dos. En fait, dans mes contrats chez mon précédent éditeur, il y avait un vide juridique, quant à l’adaptation en télé. A l’époque, j’étais en passe de changer d’éditeur… Et donc, les droits d’adaptations de L’âme du mal ont été vendus, presque à la sauvette, pour en faire un téléfilm. Lorsque j’ai appris que l’adaptation existait, le tournage était déjà lancé. Et comme j’étais furax, je ne me suis pas du tout impliqué… Et en fait, je ne l’ai jamais vu.

 

Par contre, tu verrais Autre-Monde adapté sur grand écran ?

La technique existe… Mais en France, mis à part Luc Besson, je ne vois pas qui pourrait… Il faudrait une production à l’échelle européenne, mais là encore je n’y crois pas trop. Quant aux Américains, ils ne se penchent pas sur ce qui se fait ailleurs. Mais ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. Les droits sont à moi… Et pas du tout à un producteur.

 

C’est parti pour les questions flash !

Le film que tu ne peux pas ne pas regarder au moins une fois par an !

Les Goonies ! Willow ! Le Seigneur des Anneaux ! Un seul c’est trop peu.

Le livre que tu regrettes de ne pas avoir écrit ?

Dragon Rouge, de Thomas Harris.

L’auteur que tu regrettes d’avoir rencontré ?

(Rires) Oh, il faut que je balance ? Non, allez, les gens formidables contrebalancent largement les gens décevants. Ceci dit, je conseille toujours aux lecteurs de ne pas rencontrer leurs auteurs préférés, moi y compris, parce que ce qui compte ce sont leurs livres, avant tout.

Le film dont tu voudrais écrire la suite ?

Les Goonies ! Je rêverais d’écrire la suite des Goonies.

Le film que tu as vu… et que tu aurais écrit d’une façon différente ?

Stand By Me, forcément ! J’en parlais au début de cette interview.

L’actrice que tu rêverais de mettre en scène dans un long métrage ?

Il va falloir que je m’arrange avec ma femme (rires). Rachel Weisz. Je trouve que c’est une actrice actuelle formidable.

L’acteur que tu rêverais de mettre en scène dans un long métrage ?

Brad Pitt, sans réfléchir. Sinon, j’adore Jeff Bridges.

As-tu pleuré lorsque Han Solo est mort ?

J’avais la gorge et le menton qui n’étaient pas fiers !

Tu as donc apprécié Le réveil de la force ?

Ah oui, je fais partie de ceux qui adorent. Parce que j’ai retrouvé toutes les sensations des premiers épisodes. Je comprends celles et ceux qui reprochent au film d’être un remake d’un Nouvel espoir. Moi cela ne me dérange pas, parce que le film fonctionne. Par contre, si l’épisode suivant nous joue encore le coup du remake, je serais certainement moins clément. Mais là… C’est une nouvelle génération, nouvelles équipes… Pour une part du moins, de nouveaux spectateurs.

La série télé qui t’as marqué ces dernières années ?

Downtown Abbey, pour les interactions humaines… Et Game of Thrones. Je sais ce n’est pas des plus originaux, mais bon, il faut avouer que c’est bluffant.

Comment imagines-tu Maxime Chattam, écrivain, dans 20 ans ?

Ah la vache… Hum… Passé les quelques problèmes d’articulation et de dos, qui se pointent là maintenant, je rêverai d’être le même qu’aujourd’hui ! C’est-à-dire un type qui a la chance de pouvoir écrire tous les jours ce qu’il a dans la tête et d’avoir un retour régulier de gens qui aiment lire ça. J’espère avoir la même liberté. D’explorer des univers, des idées, des histoires… J’ai tellement d’idées au quotidien, je ne pense pas que cela changera en vingt ans. Cela n’a pas changé ces vingt dernières années donc… Tout ce qui me faisait un peu peur, comme la paternité, la vie de couple, la vie de famille, ces éléments qui, je le craignais dans un premier temps, auraient pu casser mon envie d’écrire… Il s’avère que c’est tout le contraire. Cela m’enrichit, cela m’inspire. Je n’ai rien perdu de ce qui m’anime, je ne compte pas m’arrêter en si bon chemin. Et j’espère de tout cœur que les lecteurs seront encore là pour me lire !

 

Critique de son dernier livre Le signal

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