Forêt d'Iscambe (La)

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En 1973, j’avais été fasciné par la lecture de Mayapura, roman initiatique à forte connotation exotique. Depuis, j’avais perdu la trace de ce journaliste-écrivain intéressé par le fantastique, et appris la sortie en poche de La Forêt d’Iscambe en même temps que… son décès en 2005.

Déjà Mayapura m’avait enchanté par la luxuriance de sa langue. Il est tellement agréable de savourer, dans le domaine de l’Imaginaire, un style riche et beau, chose dont nous ne pouvons nous rendre compte en littérature anglo-saxonne traduite.

Voyons l’intrigue. Après un cataclysme, l’Europe n’est plus que forêt. L’action se déroule en France. Un « Bureau populaire » dominateur maîtrise la région de Marseille. Paris est une légende. Entre les deux s’étend une forêt et quelques rares oasis de civilisation. Comme la vallée d’Emeraude, qui voit arriver deux pélerins, le Fondeur et son disciple Evariste, à la recherche des merveilles de l’antique capitale. It’van, de l’Oasis, est également intéressé. Le roman suivra leur double itinéraire, ainsi que celui de membres du Bureau à la poursuite des dissidents. En route vers Paris, ils suivent l’autoroute A6, bien délabrée et sinuant dans la jungle impénétrable et hantée de mystérieux êtres dégénérés, les ‘clapattes’. Mais aussi par une fleur mortelle qu’It’van vaincra. Ce qui lui donnera une aura formidable parmi la horde des termites intelligents, qui « ondulaient, bignaient, clafoutaient et strattaient sans relâche ». Ces termites intégreront la trame et le lecteur assistera à la description de leur société dirigée par la reine Blancheboudine (Sa Grâce monstrueuse, plantureuse, répugnante etc.), et menée par un nain, le docteur Khô-Khô, dernier représentant de la race des marmousets de Montparnasse. _ It’van vivra longtemps chez les termites, avec ses amis Crochetête, Gros-Cul et Souffleur, vainquant leurs ennemis, les fourmis et leur terrible général Krotok. Pendant ce temps, le Fondeur et Evariste progressent dans la Forêt d’Iscambe et inventent de toutes pièces une religion inspirée des restoroutes et autres stations-service : voici l’avènement des dieux Total, Mobil, Antar ou de la déesse Shelle. Des nombreuses discussions sur l’essence et le super surgira la nouvelle religion : l’esper ! Y a-t-il plus surréaliste et plus…. merveilleux ?

Tout cela vous donnera une idée de la richesse foisonnante de ce récit exceptionnel qui, bien entendu, aboutira à Paris. Et au Jardin du Luxembourg où se tapit le maître des clapattes, une mystérieuse entité végétale. Et à la Bibliothèque Nationale emplie de toiles d’araignées. Ayant compris leur monde, nos différents héros, humains ou non, retourneront à la vallée d’Emeraude, là où aura lieu l’affrontement final avec le fameux « Bureau. ».

Le style, je l’ai dit, est travaillé, évoquant souvent Henri Michaux (« Baissant la tête, les agrupes, jaloux des bouffards, leur chatouillaient l’arrière-train de leurs luisants clapoutons »). Ou ceci, très parnassien, décrivant l’A6 : « Elle avait l’aspect étrange de ces artificielles plages de galets que l’on voit au fond des aquariums et où – verdâtres et pensifs – de lents poissons vous font la lippe ». Ou ces deux pensées, admirables : « Tout le malheur des hommes vient de ce qu’ils vont chercher beaucoup trop loin ce qui est tout près d’eux » et « Mourir, dit-il, c’est changer de vêtements ». Vous l’aurez compris, La Forêt d’Iscambe est un roman d’une densité prodigieuse, aux images fabuleuses, plein d’humour et de tendresse, écrit dans un français d’une richesse exceptionnelle. En un mot comme en cent : un chef-d’œuvre littéraire, transcendant tous les genres. Le décès de Christian Charrière est une grande perte.

Christian Charrière, La Forêt d’Iscambe, Points Fantasy P1646, Editions Phébus 1993, 500 p.

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Commentaires

Livre d’un auteur qui m’était auparavant inconnu La forêt d’iscambe m’a agréablement surpris par la richesse de sa langue et son style atypique.
J’ai été émerveillé par la France post-apocalyptique créée avec minutie et originalité par christian charrière.

Je me suis vite attaché aux personnages et à cette sylve magique qui semble sortie d’un rêve merveilleux.

J’aborderai pour finir ce court article le côté profond et mystique de ce roman qui évoque une vision de la recherche de soi-même interessante.