Retranchés

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Illustrateur / Dessinateur: 


Sur le pont, les gens rient, un clown jongle et les amoureux s’embrassent. Pendant ce temps, sur les rives du fleuve, un homme déprime. Il s’appelle Jérôme. Sa petite amie l’a quitté et il cherche un sens à sa vie. A des années lumière de Jérôme, des tranchées découpent le paysage. A l’intérieur, des soldats de l’Empire désoeuvrés. L’objectif de leur guerre ? Ils n’en savent rien. Leur ennemi ? Ils ne l’ont jamais vu. Leur plan de bataille ? Ils n’en ont pas. Tout ce qu’ils savent c’est qu’ils doivent se tenir prêt au combat. Jérôme a un combat à mener lui aussi. Mais par où commencer ? Quelle attitude adopter ? Doit-il passer à l’action, insister auprès de celle qu’il aime, au risque de la faire fuir ou mieux vaut noyer sa peine et attendre qu’elle fasse le premier pas ? A force de se retrancher sur ses positions, Jérôme risque de devenir comme ces soldats, l’ombre de soi, et dès lors, il ne lui reste plus qu’à plonger et à couler.

Si "Retranchés" devenait un film de cinéma, je prendrai Romain Duris comme acteur et Klapisch comme réalisateur. Tout d’abord, il y a l’ambiance des grandes villes avec ses grandes places, ses cafés et ses belles avenues. Les gens rient, se promènent. Certains crient, d’autres discutent. Tous ces instantanées de vie si chères à Klapisch. Parmi tous, "Retranchés" s’attache à l’errance d’un homme qui a tout perdu. Par tout, j’entends la femme qu’il aime, celle qui a son portrait sur sa télé et qui egayait ses journées. Jérôme ne va pas tout pêter comme un Schwarzie ou un Van Damme. Non. Ca, c’est bon pour Hollywood. A la place, il erre dans la ville et se connecte à un autre monde. Un univers inconnu dans lequel des soldats se trouvent dans une situation similaire. Interprétation de son mental, personnages d’un autre monde, je vous laisse le découvrir. Ce qui compte, ce sont les coincidences entre le quotidien de Jérôme et celui des tranchées. Je vous prends deux exemples. Plongé dans sa déprime, Jérôme marche dans la rue. Il passe le long de travaux et dans la tranchée creusée par le tractopelle, il noie son regard. Parallèlement, les soldats marchent dans une tranchée. Ils ne connaissent pas vraiment la raison de leur présence ici. Ils ont des ordres et ils occupent leur temps comme ils peuvent, tête basse et les yeux vers le sol. Plus tard, Jérôme feuillette des magazines people. La presse parle du désamour des stars. Elle surfe sur le malheur des gens. A l’identique, des hommes-oiseaux dont la tête est un appareil photo survolent les tranchées. Ils prennent des tas de photos. Leurs "clic clic" rendent fous les soldats. C’est le but. Rôder, énerver et lorsqu’un soldat pête un plomb, prendre le cliché qui fera la fortune du journal. Il n’y a donc guère de différence entre une guerre de tranchées et un homme qui se retranche dans sa peine. Le pire, c’est qu’on tourne en rond, qu’on se cherche un but et qu’au final... oui... au final, on agit.

L’autre plus de cette bd est son alternance réalité-fiction. Quand nous partageons le quotidien de Jérôme, nous sommes dans un décor réaliste. La ville ressemble à Lille, Lyon ou Paris. L’appartement de Jérôme est de type classique. Il est facile de s’identifier à lui et de partager ses sentiments. Quand nous accompagnons les soldats, là, nous plongeons dans le Fantastique. Les soldats ressemblent à des Hussards ou des Cosaques. Leur Général chevauche un vélo à une roue. Des drônes humanoides survolent le champ de bataille. Il y a aussi cet espèce de zombie qui note tout ce qui ce dit et tout ce qui se passe. Viendront même des spectres. Une sorte d’uchronie napoléonienne qui nous replonge dans nos petits soldats avec lesquels nous jouions étant enfants. Cette alternance donne du rythme sans nous perdre. Un bel ouvrage.

En bonus, Cafard - c’est le nom de l’auteur - nous offre un magnifique artbook de ses recherches et illustrations. La panoplie des "gueules cassées" est excellente.

Titre : Retranchés

Scénario, dessins et couleurs : CAFARD

Editeur : Ankama Edtions

Collection : Araignée

Nombre de pages : 130

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