Bukovski - Une vie
Les éditions du Diable Vauvert, après leurs précédentes publications des recueils de poèmes de Bukowski, nous proposent une révision de sa biographie par un de ceux qui l’a le plus connu et le plus fréquenté, poète aussi, cofondateur de magazine littéraire. Destinée à paraître pour le trentième anniversaire de la disparition de Hank, elle prend des allures d’autant plus nostalgiques que Cherkovski est décédé cette année, le 19 mars 2024 exactement.
Comme le précise l’auteur, tout ce qu’il a pu écrire l’a été avec l’aval de Bukowski, ce qui nous permet de découvrir un personnage hors norme. Qui fut Bukowski ? D’origine allemande, moqué par ses camarades de classe, enfant solitaire battu par un père dur et incapable de supporter ses propres échecs, délaissé par une mère qui n’est que soumission, il développe très tôt une méfiance envers ses semblables et surtout une fascination/hésitation envers les femmes. La vie lui joue de sales tours, comme avec cette acné pustuleuse qui lui laissera le corps et le visage couverts de cicatrices. Livré à lui-même après une énième correction où il tient tête à son père, il écume les endroits les plus sordides, devient alcoolique. Ce qui dictera son futur, c’est un refus d’assister à la visite d’Edgar Hoover. Bukowski invente alors l’histoire de ce qu’il aurait pu voir s’il était présent. Il se découvre doué pour les mots.
Inlassablement, à un rythme infernal, jusqu’à plusieurs textes par jour, Henry Bukowski ne cessera d’écrire des pages et des pages de prose brute, mettant en lumière sa vie antérieure, comme autant d’instantanés photographiques. Mais aussi ses romans, Post Office, Factotum ou Women pour ne citer qu’eux. Il devient le symbole d’une certaine frange de poètes, de la Beat Generation, ce qu’il réfutera. Il avouera même à son biographe plus tard que l’anonymat lui manque.
Ce qui frappe à la lecture de l’ouvrage, c’est que toute sa vie, Henry Bukowski aura cherché à être authentique, à écrire ce qu’il ressent en s’affranchissant des genres et des normes. Ce qui contraste forcément avec le personnage qui se donne en spectacle, le fameux « vieux dégueulasse » qui arrive toujours bourré, invective son monde et repart aussitôt. Les séances de lecture publique décrites par Cherkovski en sont l’exemple même. Au départ, Hank n’est pas à l’aise, mais finit par se prendre au jeu. On ne saurait évidemment passer sous silence le cheminement de son scénario devenu film grâce à Barbet Schroeder, Barfly, qu’il respecte pour lui avoir laissé le champ totalement libre dans l’écriture, car comme le font remarquer ses éditeurs au cours du temps, lorsqu’il s’agit de changer un mot ou une phrase, il est très chatouilleux. Devenu riche et célèbre, il ne changera finalement pas grand chose à son train de vie, épousant sa dernière compagne, achetant une maison où il peut composer à loisir, passant de la bière au vin (les fameux packs de six ont fait place aux grands crus) et jouant aux courses de chevaux.
Je remercie les éditions Au Diable Vauvert pour leur confiance renouvelée et pour permettre au plus grand nombre de découvrir qui était l’homme derrière la plume.
Neeli Cherkovski - Bukowski, une vie -Éditions Au Diable Vauvert - mars 2024 - 24 €