Black Death, film sorti en DVD de Christopher Smith
Bonjour à toutes et tous.
Enthousiaste chronique pour un film de genre moyenâgeux, Black Death, de Christopher Smith, sorti en France uniquement sous forme dvd en 2011 et à la narration impeccable.
La mort noire est donc la peste noire qui a ravagée la Grande-Bretagne durant le quatorzième siècle, après avoir traversé l’Europe. Une milice de l’Eglise Catholique traverse le pays pour aller dans un village où, paraît-il, la peste ne sévit pas, où les morts ressuscitent. Emmenant avec eux pour les guider un jeune moine amoureux d’une jeune femme qu’il souhaite rejoindre, les hommes parviennent jusqu’au village perdu dans les marais.
Là, ils vont se retrouver confrontés à la femme qui dirige le village et vont pouvoir cruellement éprouver leur foi…
Un sentiment très fort se dégage de suite sur le film, sentiment qui ne se dément pas jusqu’à la fin. Nous ne sommes pas dans le grand spectacle. Et quoi faire quand il n’y a pas les moyens de mettre mille figurants avec des fourches, cent chevaux, des châteaux immenses, des bûchers de dix mètres de haut sinon de l’intelligence ?
Car Black Death ne déçoit jamais, tant dans le jeu des acteurs très sobre et sans aucun souci de faire grandiloquent ou exalté que dans la structure narrative d’une rare solidité.
Aucun discours ou verbiage inutile dans la communauté religieuse où vit le jeune moine, sur rien. Ils se contentent de soulager les maux de la population, de brûler les morts de la Peste noire. L’idéologie, le discours n’est pas leur préoccupation ni leur vie. C’est à la milice, qui fait l’autre sale besogne de l’époque, de tenir le discours de l’Eglise.
Cette répartition est très frappante, bien écrite car disant la réalité de toute organisation sociale confrontée au pire. Par exemple, durant la guerre 14-18 et ses séquelles dans les Balkans, les combats les plus violents en tranchées n’ont jamais été faits par les armées régulières, mais par des commandos spéciaux constitués des plus violents et de criminels. L’ordinaire de la population n’est pas capable de pratiquer tant d’horreurs.
D’où des personnalités des membres de la Milice très intéressantes. Ultra-violents, ils ont en même temps une véritable foi et une conscience aigüe de leur rôle social. Pour nous spectateurs bien sûr ils restent effrayant, notamment avec leur carriole comportant une cage pour les hérétiques à ramener à l’Evêché.
Mais en même temps, ils ne déchaîneront leur violence et leur science des armes que lorsqu’ils se feront attaquer dans la forêt par des bandes armées, comme les marchands ou les paysans peuvent l’être. Ils ne sont ni surpuissants ni même réellement craints de la population.
Le jeune moine trouvera auprès d’eux son destin - que je ne vous révèle pas. Jeune prêtre pas plus ennuyé que cela par le fait qu’il a rompu son vœu de célibat par amour pour une jeune femme. Il a Jésus à qui parler. Ces hommes d’Eglise n’étaient pas à l’époque dans le questionnement, la retraite spirituelle, mais dans l’action, la mort omniprésente.
Le film bascule lorsque les hommes de la milice pénètrent dans le village qu’ils cherchaient. Nous frôlons là, à cet instant crucial du film, le fantastique. Mille questions sans réponses véritables nous viennent.
Très subtilement, les décorateurs du film ont réussi à donner un aspect moderne, pas tout à fait du quatorzième siècle à ce village, trop bien ordonné, trop propre. Quelque chose cloche, sans que le spectateur puisse vraiment comprendre quoi.
Nous ne sommes plus tout à fait au Moyen-Age. Une femme dirige le village, première incongruité. L’on y fait la fête, alors que partout ailleurs dans le pays c’est la désolation. Le repas du soir, où la boisson coule à flots, laisse libre cours à intimité libidineuse entre hommes et femmes…
Telle que la nomment les hommes de la milice, la sorcière qui dirige le village n’est pas une sorcière, au sens où on peut l’entendre dans le cinéma de genre. Christopher Smith la filme tout autrement.
Au Moyen-Age, la sorcellerie, c’est une beauté qui défie la quarantaine. La sorcellerie, c’est ne pas perdre ses dents. La sorcellerie, c’est refuser la religion, s’y soustraire. La sorcellerie, c’est la liberté sexuelle.
L’actrice n’a qu’à être elle-même, nul besoin pour elle de surjouer les sorcières. Son personnage n’en est que plus troublant, car terriblement humain. C’est d’abord une politique, jamais une représentante des forces occultes, vision de la sorcière d’une rare modernité.
Sans trop vous narrer le film, le village peut être perçu alors comme une expérience menée par la sorcière, une épreuve morale infligée à des tortionnaires, des assassins au service d’une religion toute entière. La sorcière tente de briser ses fondements, comme la résurrection. Le film dans sa dernière partie peut être perçu comme une expérimentation de laboratoire de psychologie, telle que Milgram l’a pratiqué sur l’Autorité dans les années 50 aux USA. Irruption là encore de la modernité.
Par la torture, la sorcière tente d’extirper une vérité suprême à ces hommes d’Eglise extrêmes dans leur activité de répression. Dieu n’existe pas. La résurrection n’existe pas. La foi n’est qu’impuissance pitoyable.
Influence notable et très utilement utilisé dans la scène de torture mentale pratiqué par la sorcière, celle du film de Michael Cimino, Voyage au bout de l’enfer, sur la guerre du Vietnam, ou les soldats US sont enfermés dans des cages plongées dans l‘eau. Le même emprisonnement se retrouve au bord du marais. Un par un, la sorcière promet aux hommes de la milice d’être saufs s’ils absolvent leur foi. Celui qui refuse est éventré et son sang versé dans les marais, afin de protéger le village de la Peste noire…
Le film renvoie cruauté contre cruauté.
Mais attention à l’erreur d’interprétation. Christopher Smith ne renvoie pas dos à dos le pouvoir religieux et les athées. Il renvoie dos à dos la cruauté effective de l’époque, les prémisses de l’Inquisition avec cette « Terror Team » censée éradiquer toute forme d’opposition au Catholicisme, et notre propre cruauté d‘humains du 21ème siècle, qui jugeont cette époque, si prompts à ne voir en nos ancêtres que des idiots se pliant à une religion dictatoriale et absurde.
Ce village, à la limite du groupement d’hippies libertaires et finalement bien arrogants, c’est métaphoriquement nous les Européens du 21ème siècle, époque après laquelle le Catholicisme sous sa forme moyenâgeuse s’est définitivement éteinte au cours du 20ème siècle.
Désormais, les Européens pratiquent une forme de spiritualité individualiste, se groupent par affinités passagères et n’obéissent plus à aucun culte structuré. Seuls les fanatiques finalement pratiquent la religion au sens originel, doctrinaire, sectaire, hégémonique, où l‘individu appartient au groupe ou en est rejeté impitoyablement, où tout autre religion ou paganisme est l‘ennemi et doit être éradiqué.
Il est frappant de noter à quel point en Europe aujourd’hui, il n’y a strictement aucun signe, aucun comportement d’hostilité réciproque chez les autorités des principales religions. Si hostilité il y a, elle provient de groupuscules ou des politiciens instrumentalisant les peurs ancestrales. Mais plus des Eglises en tant que pouvoir temporel.
Nous, qui sommes si fiers de notre modernité, de notre laïcité, de notre vie matérialiste, de notre individualisme triomphant, sommes totalement incapables de comprendre, de ressentir, d’admettre le mode de vie, de pensée, les comportements du Moyen-Age, surtout parcouru par ce fléau qu’était la Peste noire.
La peur régnait. Et qui peut prétendre qu’elle ne règne plus aujourd’hui ? Qu’on ne la fait pas régner par n’importe quel moyen ?
C’est à mon sens la force du propos de Black Death, non pas nous apitoyer sur les malheurs vécus par nos ancêtres, non pas nous les décrire comme exotiques avec leur religion décrite comme fanatique, non pas nous donner un réconfortant sentiment de progrès de civilisation, mais une déstabilisante leçon d’Histoire.
Le film a pour ambition - et réussit - à nous faire réfléchir sur notre propre vision de ce passé longtemps décrit par les manuels d’Histoire comme période d’obscurantisme et de régression, notamment philosophique et scientifique. Traitement classique infligé par un siècle aux précédents, afin de se valoriser, de se croire supérieur.
Dans Black Death, il me semble impossible au bout du compte pour le spectateur de se croire supérieur aux gens du Moyen-Age. Un monde où mourir de maladie est la norme, où il n’y a aucun espoir sur Terre face à la Peste noire, où l’écroulement de la religion était encore impensable, au risque de précipiter la société dans le chaos.
Aujourd’hui, ne pas endiguer une épidémie en moins de trois semaines, ne pas vaincre une maladie en dix ans semble devenu insupportable à l’Occident…
Le village de la sorcière, isolé dans les marais, à l’écart pour un moment seulement de la Peste noire, c’est un fragment de notre temps dans le passé, un lieu encore incongru, trop en avance, une étrangeté, un démon athée venu défier la Religion, seule institution faisant face à la mort qui rôde, l’athéisme ne pouvant pas encore prendre le relais.
Le village, c’est l’individualisme dans un monde où l’individu n’a pas encore sa place, où le collectif est le seul moyen de ne pas désespérer du malheur que Dieu envoie sur Terre pour punir les humains d’ils ne savent quel pêché. Monde où brûler une sorcière est la seule vengeance offerte au peuple contre le sort qui lui est fait injustement.
Le village est aussi clairement une rébellion féministe contre un monde où être une femme, c’est supporter un lot de souffrance ; mourir en couches, voir mourir ses enfants en bas âge, être violée ou brûlée sur un bûcher. Une enclave de liberté dans une vie faite de soumission aux hommes et aux aléas d’une rude vie physique.
Le village échouera, emporté dans la tourmente de la Peste noire. Il ne pourra échapper à son époque ; car comment échapper à son époque ? Voilà là un thème fort aussi de Black Death, que l’on retrouve aussi dans l’excellent long métrage de M. Night Shyamalan, Le village, qui a du inspirer certainement à bon escient le scénariste du film, Dario Poloni.
Quand au jeune moine, personnage central du film, naïf instruit par la confrontation avec la cruauté du monde, sa destinée clôt avec force le film.
À mon sens, Black Death est pour moi le troisième long métrage consacré au Moyen-Age le plus abouti, le plus réfléchi que j‘ai pu visionner, avec le célèbre Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud, d’après Umberto Ecco, et l’extraordinaire film de Paul Verhoven, La chair et le sang, film tourné avant qu’il ne parte faire carrière aux USA, qui notamment aborde la place de l‘enfant dans une société où la mortalité infantile était très élevée.
Grande honte donc aux distributeurs qui ont refusé de distribuer un film d’une telle qualité en France. Sans doute que dans leurs esprits étroits, Moyen-Age ne peut rimer qu’avec obscurantisme cinématographique…
Black Death, un redoutable long métrage sur de redoutables sujets, à ne surtout pas manquer.
Fiche du film sur :
http://www.scifi-universe.com/encyclopedie/film/21850-black-death.htm