Baiser ou faire des films

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Après le choc de La Fabrique des salauds, Chris Kraus nous revient avec un roman plein d'une fantaisie grinçante. Écrit sous la forme d'un journal posthume, un texte puissant et drôle, qui continue d'explorer ces familles hantées par les fantômes nazis, sur fond d'hommage à la Beat Generation.

Jonas n'a pas trente ans quand il débarque à New York pour vivre son rêve de cinéma. Au gré de rencontres déjantées, le jeune Allemand découvre, fasciné, un milieu où flottent encore les ombres de Kerouac et de Ginsberg. Reste à trouver un sujet pour son film d'études. Fiction porno-expérimentale ? Documentaire sur le pouvoir érotique des lobes d'oreilles ?Jonas semble passer volontairement à côté du sujet qui s'imposerait pourtant : l'histoire de sa famille. À New York, en effet, vit sa "tante" Paula, qui fut un temps très proche de son grand-père, pendant la Seconde Guerre mondiale, à Riga. Même si Jonas ne veut rien entendre, Paula a beaucoup à dire sur cet homme complexe, ce nazi sanguinaire qui l'a pourtant sauvée, elle, la Juive.Et tandis que Jonas répète à l'envi "Je ne tournerai pas de film à la con sur les nazis !", la belle Nele va entrer dans sa vie...

 

Après l'incroyable Fabrique des salauds, difficile de rebondir avec un nouveau roman.On retrouve dans Baiser ou faire des films certains thèmes de La fabrique : le poids de la famille et du passé, le nazisme, le combat de l'individu pour trouver sa place dans un monde en pleine mutation... Jonas pourrait tout à fait être le petit-fils de Koja, protagoniste principal de La fabrique des salauds.

Mais là où il explorait l'Histoire avec son grand H sur plusieurs décennies, Chris Kraus a choisi cette fois de condenser un petit bout d'Histoire sur quelques semaines de la vie de Jonas Rosen. Ce jeune homme à la tête fragile (belle et drôle métaphore des ravages des non-dits sur l'esprit) part en éclaireur à New-York pour préparer la venue d'un groupe d'étudiants berlinois. Il se retrouve plongé dans un voyage initiatique qui va lui permettre d'enfin se libérer du trouble passé familial durant la guerre et de comprendre qui il est et ce qu'il veut.

Entouré d'une galerie savoureuse de personnages à la fois baroques, loufoques et hilarants, Jonas se prend de plein fouet un monde qui lui est inconnu, qui tranche avec une Allemagne guindée et écrasée par son passé.Il y a le prof, ancien acteur de porno gay, le gay obèse mal embouché à l'hygiène très fluctuante, la Vietnamienne angoissée... On croise également au fil des pages quelques noms importants de la culture underground américaine de la seconde moitié du XXe siècle.

C'est drôle, ironique et coloré comme un tableau de Warhol sous LSD. Mais c'est aussi plein de tendresse et de réflexion : comment parvenir à être soi, sinon en s'arrachant des racines qui font souffrir ?

Même si je n'ai pas eu le coup de coeur absolu comme pour la Fabrique, Baiser ou faire des films reste un excellent roman, confirmant que Chris Kraus est sans conteste le John Irving allemand.

 

Baiser ou faire des films de Chris Kraus, chez Belfond, ISBN 978-2714482044, prix 22,50 €

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