Tête du Professeur Dowell (La)

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Scalpel ? Non, rasoir.

Il y a une science-fiction soviétique qui a particulièrement prospéré sous le petit père Staline, sans doute parce qu’il faut beaucoup d’espoir pour survivre au grand totalitarisme, et beaucoup d’imagination.


L’esprit, voilà justement la question essentielle du présent roman, La tête du Professeur Dowell, du grand Alexandre Beliaev (Règle numéro un : il faut toujours qualifier de grand l’auteur dont on a pu ignorer jusqu’ici l’existence). En effet, près de soixante-dix ans avant le philosophe Stéphane Ferret, Beliaev imagine une histoire à peine tirée par les cheveux : celle d’un chirurgien surdoué qui aurait la possibilité de faire revivre des têtes de cadavre. Il commencerait par celle de son patron, puis par d’autres spécimens plus communs, et il tenterait même des collages hasardeux entre corps et crânes, au risque d’y perdre la face. L’hypothèse scientifique est le prétexte ici à une méditation bien plus profonde, et si les personnages de ce roman très dix-neuvième siècle, se pourchassent et s’affrontent, comme dans tout bonne littérature populaire, ils ne peuvent faire illusion par rapport à la problématique centrale.

Certes, Beliaev emprunte à Vernes sa précision technique et à Wells son sens de la construction narrative (en un peu plus indigeste cependant), mais c’est pour mieux prendre le lecteur dans le filet de l’interrogation ontologique. Si ce cas de transplantation se présentait dans la vie réelle (et que ne peut-on avec la neurochirurgie), dirait-on alors, dans la lignée du grand Descartes, que l’on a su ressusciter un mort ? En effet, si être c’est penser, alors la tête, organe primordial de la réflexion, devrait être le symbole même de l’existence parfaite.

Beliaev, qui fait parfois appel à la psychiatrie avec beaucoup d’humour (cf. l’épisode délirant du terrifiant docteur Ravino, aliéniste démoniaque), connaît déjà la réponse. Ayant été lui-même paralysé pendant plusieurs années, il sait, de manière intime, que la vie ne vaut que par les sensations procurées, que par le mouvement et la réaction.

L’abstraction et l’idéalisme ne sont que les faux-semblants de l’existence. Rien ne vaut l’ivresse des sens.

Belle conclusion, mais hélas insuffisante à faire prendre plaisir au lecteur. On parcourt ce texte avec curiosité, mais sans aucune passion. A posteriori, car il faut toujours prendre une position adéquate, la préface de Philippe Curval et la courte biographie élaborée par la traductrice constituent les épisodes les plus palpitants de ce grand ouvrage. Il me semble pour ma part utile de conseiller au lecteur aventureux de s’armer de patience et de vodka.

Alexandre BELIAEV, La tête du professeur Dowell, Couverture : Jean-Marc Eldin (illustration de Sophie Dutertre), Traduction : Aselle Amanalieva-Larvet, 280 p., L’Asiathèque

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