C'est l'Inuit qui gardera le souvenir du Blanc

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A la fin du XXIème siècle, la planète est désormais scindée en deux entités géopolitiques distinctes que tout oppose. On trouve d’une part les pays appartenant au « monde développé », regroupés autour du G16, vaste ensemble hyper technologique interconnecté, et d’autre part ceux relevant de la Confédération des Nations Premières, amalgame hétéroclite de peuples indigènes (Mongoles, Aborigènes d’Australie, peuples d’Amérique du Sud et d’Afrique…) que leur rapport plus authentique à l’existence réunit. Les protagonistes centraux du roman de Lilian Bathelot appartiennent pour ce qui les concerne à la civilisation inuite sise au Groenland (devenu le « Kalaalit Nunaat », République Inuit Indépendante), membre indiscutable de la Confédération.

Si les citoyens de l’Union Européenne et des autres zones du globe à fort P.I.B. sont soumis à une surveillance permanente de la part d’Etats omniprésents - par la grâce d’outils technologiques divers (implants sous-cutanés, satellites espions, enregistrement des données informatiques personnelles, etc.) - c’est un vrai sentiment de liberté (de mouvement, de pensée, etc.) qui caractérise encore l’existence dans les régions sous contrôle de la Confédération. Un sentiment que les ressortissants de cette dernière craignent constamment de voir dépérir, du fait de l’emprise toujours plus marquée du réseau de surveillance instauré par le G16 sur le reste du monde.

De cette inquiétude naît la volonté de scientifiques inuits de développer un système de brouillage secret, « l’Esquive », visant à rendre impossible l’espionnage électronique de leur territoire et celui de leurs nations soeurs. Il va de soi qu’un tel projet ne peut que déplaire aux fanatiques du contrôle que sont devenues les instances dirigeantes de nos contrées, qui n’hésitent pas dès qu’elles découvrent ce qui se trame à déclencher dans le plus grand secret d’amples manœuvres visant à briser dans l’œuf ces velléités d’émancipation.


Le roman gravite autour de deux individus, une Inuit (Kisimiippunga) et un Français d’origine gitane (un certain Manuel Diaz qui, du fait du sang rom qui coule dans ses veines, se découvre plus d’affinités avec la Confédération qu’avec son pays d’origine, alors qu’il travaillait pourtant jusqu’alors pour le compte de la Sécurité Nationale de ce dernier). Ce sont les travaux de Kisimiippunga sur les narvals, ces « licornes des mers » de l’océan Arctique, cétacés dotés d’une longue corne torsadée, qui déclenchent à son insu le processus devant mener à la déclaration d’indépendance des peuples premiers. Diaz, conscient du risque encouru par la jeune Inuit, vient la retrouver au Groenland afin de la protéger. Mais il ne parvient pas à échapper bien longtemps aux forces de l’ordre, qui s’empressent de remonter sa piste…

« C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc » s’avère être un bon roman d’anticipation, qui milite avec énergie en faveur d’une poignée de thèmes progressistes : l’écologie, les risques inhérents au fichage des individus par les Etats, la nécessité de garder un lien avec les traditions de son peuple, etc. La narration est efficace et certaines idées font mouche. On peut cependant regretter la relative brièveté du livre, qui aurait mérité d’être beaucoup plus touffu - en l’état, on reste un peu sur sa faim. L’action contée n’ouvre qu’une petite fenêtre sur ce futur que l’on aurait aimé découvrir plus amplement. On peut aussi s’interroger sur la présentation qui est faite des « peuples premiers », dénués de défauts, un rien manichéenne. Si l’on partage certaines des craintes de l’auteur quant à l’avènement d’un « Big Brother » à l’échelon planétaire, cela ne signifie pas pour autant qu’on doive le suivre systématiquement sur le terrain d’une présentation idyllique du mode de vie, soi-disant supérieur, des « indigènes ». Nos civilisations ont-elles aussi contribué au dépassement d’un certain état de servitude, en faisant notamment la promotion de la notion de liberté individuelle ? La juste remise en question de ce qui ne va pas chez nous ne nécessite pas forcément l’embellissement exagéré de ce qui a cours ailleurs.

Ces réserves faites, on saura cependant gré au livre de Lilian Bathelot de nous faire découvrir un peuple et un pays fort peu traités dans les œuvres de fiction contemporaines. Qui de l’Inuit ou du Blanc gardera le souvenir de l’autre, difficile à dire. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’ils ont beaucoup à apprendre de leur rencontre.

Lilian Bathelot, C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc, 252 p., Editions Le Navire en pleine Ville

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