Azriel et Aliya de Florence Vedrenne

1- Jour de Lune

— Il n’en n’est pas question !

— Mais si, Aliya, ça va être diablement drôle !

— Non, Azriel. Tes plans foireux vont nous faire renvoyer de l’école !

— Ce que tu peux être couarde...

Aliya s’immobilisa. Ses longs cheveux noirs dansèrent au-dessus de la ceinture mordorée qui soulignait ses hanches de jeune fille pleines de promesses, la peau blanche de ses épaules nues renvoyant plus encore les rayons solaires telles des nacres opalescentes. Elle fit volte-face. Ses yeux obscurs avaient cédé leur place à deux charbons ardents prêts à immoler un Azriel vers lequel elle pointa un doigt porteur de vindicte jusqu’à ce que son index s’écrase violemment sur sa poitrine.

Azriel souriait. Pas trop, de crainte d’éveiller la colère de sa brûlante amie. Suffisamment cependant, car il devinait la partie bien engagée. Il se laissa donc incriminer et molester par ce doigt accusateur qui s’enfonçait dans les plis verts de sa veste de velours cintrée.

— Allez, quoi...

Le garçon inclinait son visage d’ange, étirant ses longues lèvres fines, les paumes offertes au ciel en supplique. Ses cheveux blonds coulèrent en rideau devant ses yeux, pareils à du miel, sucrés et tentants. En un mot, sans danger apparent. Et tout son corps s’élançait avec une élégance contenue mais irrésistible, pour soumettre Aliya à son projet. Elle soupira, leva les yeux au ciel et croisa les bras.

— Je te préviens, Azriel ! C’est la dernière fois que tu m’embarques dans tes histoires.

Son pied martela le sol herbu, exprimant son exaspération.

— Je le savais : tu ne peux pas me résister ! pouffa le jeune homme en se prosternant exagérément devant la longue robe de la jeune fille aux pieds agités.

Aliya le fusilla du regard mais Azriel ne lui laissa pas le temps de cracher son mépris. Il pointa son pouce par-dessus son épaule en direction du château d’Esteraldem qui abritait leur dernier cycle d’apprentissage, avant de les laisser déployer dans le vaste univers l’étendue de leurs talents de petits démons.

 

Délaissant la pelouse et la frontière boisée du parc scolaire, ils longèrent le bâtiment principal, une majestueuse et fastueuse propriété aux vertus magiques qu’un certain sorcier à lunettes n’aurait pas reniées, et se mirent à l’ombre d’une porte cochère.

— Aliya, j’ai une super idée ! On va passer du bon temps ! Madame Brindachiot en pince pour le professeur Gastapire et...

— En voilà une nouvelle, railla Aliya. C’est la première chose qu’on apprend quand on arrive ici à sept ans !

— Oui, mais là, l’évidence va lui faire commettre l’irréparable ! C’est pour ça que j’ai besoin de toi pour faire apparaitre des signes.

— T’es naïf ou quoi ?! Tu crois que madame Brindachiot ne va se douter de rien peut être ?

— Mais des Apprentis-Cymbôles, il y en a plein l’école ! Bien sûr qu’elle va se rendre compte de la supercherie, mais vu qu’elle est amoureuse, mon talent va la faire douter face aux signes, c’est évident !

L’expression d’une réflexion intense froissa aussi soudainement le front de la jeune fille qu’il le déchiffonna : « Mouais. On peut essayer... Et puis tu as raison, ça risque d’être drôle ! ».

Sur ce, Aliya se concentra et étendit gracieusement ses bras, telle une danseuse inspirée. Azriel ne se lassait pas du spectacle de la voir lorsqu’elle mettait en œuvre sa magie. Ses cheveux d’ébène se tordirent sous l’effort du thaumaturge donnant naissance à des images évanescentes. Ces dernières, mues par une vie propre, s’envolèrent pour se poser aux endroits les plus adéquats et devenir les signes de cet amour espéré en retour.

L’influx magique retomba et Aliya étira ses lèvres en une moue de satisfaction fiévreuse et suffisante.

— À moi de jouer, chuchota Azriel. On se retrouve devant le bureau du professeur Gastapire, ajouta-t-il, pétillant et gonflé de malice, avant de disparaître.

 

— Alors, jeunes gens ? Une explication au sujet de votre dernière trouvaille ?

Le professeur Gastapire, un imposant nain au crâne presque chauve, les yeux exorbités par une fureur contenue mêlée de sévérité, toisait les petits démons qu’il avait réduits à la taille d’un sucre, les ridiculisant affreusement.

— Naïfs ou idiots ? Croyiez-vous vraiment que votre plan fonctionnerait sans qu’on devine leur provenance ? Il n’y a que vous pour faire insulte à notre établissement. Honte à vos parents qui dépensent des fortunes pour vous procurer la meilleure éducation qui soit ! Eh bien, puisque vous n’en n’avez cure, nous avons décidé de vous laisser grandir...

Azriel laissa échapper un rire transformé en couinement par son corps ridicule, ce qui eut pour effet de décupler l’irascibilité professorale.

— Vous êtes irrécupérables ! Puisque vous êtes si malins, prouvez-le donc ! Et vous êtes prévenus : sorcellerie interdite, sauf en cas de force majeure !

La rage et la fureur envahirent le visage boursoufflé du professeur et un énorme fracas martela le crâne des jeunes gens au point qu’ils durent clore leurs yeux et protéger leurs oreilles de leurs mains, jusqu’à ce que le silence les enveloppe de sa poisseuse indifférence.

 

L’inconséquence

2- Jour de Mars

— Où on est ?

— Azriel... démon de pacotille... je vais te réduire en poussière...

Aliya s’avançait, les mains en crochet, prête à étrangler son camarade de sottise jusqu’à ce qu’un rire les fige.

— C’est Carnaval aujourd’hui ? J’ignorais... Pas vous les gars ?

De nouveaux éclats de rire, gras et pleins d’acné vinrent chatouiller désagréablement les oreilles des démons.

— Tu oses te moquer de nous, créature de… tempêta la brune.

— Eh oui, bal masqué plus précisément… on file, justement… salut !

Azriel s’éloigna d’un pas vif, flanqué de son amie dont il tirait le bras, afin de les mettre à distance de la bande de jeunes comiques.

— On est sur Terre et tu as failli user de magie ! s’emporta le démon, les joues enflammées.

— Sur Terre ? Mais… On n’est pas suffisamment préparés ! s’écria Aliya, visiblement terrifiée.

Ignorant cette observation qui mériterait d’être examinée plus tard, Azriel lui rappela qu’ils n’avaient guère le choix, et que pour survivre dans cet univers hostile, ils devraient prioritairement éviter de se faire remarquer.

 

Les deux jeunes gens se dirigèrent au gré des lumières urbaines vers un centre commercial. S’ils avaient davantage écouté leur professeur d’enseignement des autres mondes, ils auraient su que sur Terre, sans argent, on n’a rien. Et on n’est rien, mais ça, ils s’en moquaient bien.

Ils l’apprirent bien vite à leurs dépens lorsqu’ils furent pris en chasse par deux vigiles aux mines patibulaires et aux pieds agiles, après être sortis d’une boutique parés de leurs nouveaux atours qu’ils avaient trouvé naturel d’emprunter, l’idée qu’une transaction commerciale puisse être exigée ne les ayant pas effleurés.

Les colosses à leurs trousses gagnaient du terrain et bientôt, Aliya songea très fort que seul un événement inopiné pourrait leur sauver la mise.

Alors qu’ils traversaient un boulevard à un rythme d’enfer, un tramway apparut et interrompit la course des vigiles. Azriel attrapa la main d’Aliya pour grimper dans le tram inverse. Ils disparurent dans l’obscurité de la ville, abandonnant à la circulation bruyante les deux agents de sécurité furieux.

Apercevant un parc, ils quittèrent le tramway et s’y dirigèrent, silencieux.

— J’ai faim.

— Moi aussi, mais ce sera pour plus tard. Cet univers est terriblement dangereux et notre priorité est de nous mettre à l’abri. Et de réfléchir à la façon d’éviter tout recours à la magie. Azriel jeta un regard noir à sa compagne d’aventure, qu’il suspectait d’en avoir usé.

Ils progressèrent en silence, dans le parc, plongé dans la pénombre, longeant une allée gravillonnée menant à un kiosque à musique. Ils s’y accroupirent, l’un près de l’autre.

— Je n’ai pas utilisé les signes, j’te promets...

— Ne me prends pas pour un imbécile. Tu as fait venir ce véhicule...

— Non !, s’estomaqua la fille. Non, je… Je ne pense pas... C’est juste le hasard !

— Pfff... Le hasard n’existe pas, et tu le sais. On est bien placés pour le savoir, non ?

Aliya s’apprêtait à fermer le clapet de son insolent camarade... mais une gifle magistrale l’en empêcha.

 

La brutalité

3- Jour de Mercure

L’aube paresseuse enveloppait les rues de la ville encore assoupie d’une ombre brumeuse que les étudiants d’Esteraldem crevaient de leurs corps abîmés. Les cheveux hirsutes d’Aliya encadraient ses yeux apeurés cernés d’un joli violet, sa lèvre inférieure offrant une belle entaille et son menton, un bleu du meilleur goût. Hormis la veste en jean légèrement déchirée, le reste n’avait pas trop souffert. Azriel détenait la palme du meilleur matraquage de la nuit : œil poché, cheveux arrachés, quelques dents déplacées, chemise déchirée, il claudiquait auprès d’Aliya, son corps ayant subi les savants assauts de poings et de pieds qui relevaient, non pas de la magie, mais plutôt du kung-fu.

— Quelle chance qu’une autre bande soit arrivée et s’en soit pris à nos agresseurs !

— Tu parles d’une fhanfhe… fa n’a rien à voir… Ve parie que f’est Gaftapire qui nous tefte… Il veut nous faire fouffrir pour nous punir… pourtant, f’était un cas de forfe maveure !

Azriel s’immobilisa soudain : « Non, mais f’est toi ?! T’as utilisé les fymbôles, f’est fà ? ».

— Mais pas du tout, s’insurgea Aliya. Non mais tu crois vraiment que j’aurais eu le temps, entre deux baffes, d’imaginer quels signes utiliser, où les placer pour attirer cette bande rivale ? C’est le hasard, mon pote…

Azriel maugréa entre ses dents, du moins celles encore droites, jusqu’à ce que son regard s’arrête sur une pancarte brinquebalante clouée au-dessus d’une porte peu avenante.

— Armée du falut… Ils peuvent fans doute nous aider… puifque fest une armée, ils doivent avoir les équipements néfessaires pour retrouver et femparer de feux qui nous ont agreffés ? Allonf-y !

Azriel franchit le seuil du bâtiment décrépi devant le regard éberlué de la Cymbôle.

 

Le soleil atteignait son zénith lorsque les jeunes gens ressortirent des locaux de l’association, propres, reposés et repus.

— Ouais, finalement, il y a des créatures sympathiques ici, s’enthousiasma Azriel, ragaillardi, et joliment redenté.

— Hmm. Maintenant qu’on a compris comment elles fonctionnent, nous devons trouver un… travail, cracha-t-elle avec répugnance.

Azriel ne manqua pas de remarquer les traits dégoutés de sa camarade. Vif et silencieux, sa voix langoureuse susurra pourtant par-dessus son épaule : « Mais ma belle, tu n’as pas besoin de travailler pour gagner ta vie ici-bas : il te suffit de trouver un lardon pour exécuter les tâches les plus ingrates qui t’assureront gîte, couvert et vie de fastes… un esclave, tu n’en rêverais pas un peu, ma douce… ? ».

Ses lèvres quittèrent la droite pour effleurer la gauche, faisant frissonner la démone.

— Oh, n’écoute pas cette voix de malheur… réussir à gagner cet argent sans magie, sans contraintes et en harmonie avec les êtres humains serait sans aucun doute extrêmement apprécié par tes éminents professeurs qui t’ont octroyé cette toute petite chance de montrer que tu es responsable, un petit démon prêt à relever les forfaits qu’il lui sera demander d’exécuter durant sa longue vie…

Un sourire s’épanouit sur le visage pâle de la Cymbôle qui soupira d’aise.

— Ignores-tu donc encore que tes manœuvres tentatrices n’ont aucune prise sur moi ? Je ne suis pas un de ces Terriens, faible d’esprit, sujet à écouter ses envies, surtout lorsqu’elles lui promettent paresse, luxure et gourmandise… Mais tu n’as pas tort sur un point : apprenons sagement, peut-être en serons-nous récompensés…

Un démon, qu’il soit petit ou grand, peine toujours à se débarrasser de ses faiblesses, notamment celle de la fainéantise : en faire un minimum pour un résultat maximum pourrait constituer leur devise. Estimant d’un commun accord que leur survie en ce monde nécessitait en priorité d’avoir l’estomac bien garni, ils durent se résoudre, à leur grand dam, à lancer de minuscules sortilèges.

Et voilà comment nos deux amis se retrouvèrent à jouer les saltimbanques sur un parvis noir de monde attiré par des signes furtifs et doté d’une générosité pour le moins inhabituelle que le charme de l’enjôleur suffirait à expliquer.

 

La débrouillardise

4- Jour de Jupiter

Longuement, ils avaient examiné les pièces de monnaie et le papier, indispensables objets pour assurer leur survie en ce monde terrestre, avant de les échanger contre de quoi nourrir et reposer leurs corps. Et pendant ce jour et les deux suivants, ils avaient usé de leurs charmes revendiqués dans leur situation qu’ils estimaient relever, d’un commun accord et en totale mauvaise foi, d’un cas de force majeure.

Ils s’amusaient beaucoup à observer les êtres humains, dans leur faiblesse, l’ordinaire de leurs habitudes, leur quotidien à l’horizon limité. Les jeunes démons riaient de leur bêtises, de leur laideur aussi, de leur naïveté parfois. Ils s’étonnaient de remarquer combien les humains s’acharnaient à suivre le chemin qu’ils se dessinaient comme s’il ne pouvait être que celui auquel ils étaient destinés.

Finalement, les apprentis magiciens découvraient les mœurs terriennes et en profitaient pour conserver les informations qui leur seraient grandement utiles lorsqu’ils effectueraient leurs premières missions tentatrices.

— As-tu remarqué comme parfois ils se font discrets ? Comme s’ils voulaient passer inaperçus, se fondre dans le décor, se faire oublier ? Alors qu’à d’autres moments, leurs gestes et leurs paroles sont si visibles et sonores qu’on croirait qu’ils veulent être le centre du monde !

— Oui. Comme ils sont faillibles... Leurs doutes les figent. Leur colère les confond. Leur culpabilité les humilie. Ils veulent être uniques, reconnus, aimés... Mais se heurtent à la terrible réalité qu’est leur insignifiance en ce monde !

Aliya ne pouvait masquer combien elle se délectait, savourait la futilité de l’existence humaine qu’elle considérait comme inférieure à la leur.

— Heureusement qu’on existe pour égayer la médiocrité de leur quotidien !

— Mais certains d’entre eux marquent l’éternité de leur empreinte, objecta Azriel.

— C’est vrai pour quelques privilégiés. Grâce à nous, à notre grande magnanimité. Parce que nous menons ceux qu’on a choisis vers un destin hors du commun, assura la brune.

— Soyons réalistes : on n’y est pas pour grand-chose. On intervient chacun auprès de centaines d’êtres dans cet univers. Des milliers peut-être. Et combien d’illustres parmi eux ? Une poignée ? Quelques dizaines tout au plus... On s’amuse, on les fait trébucher, tourner en bourriques, on les rend zinzins, mais on ne fait guère mieux que de les faire céder à la tentation à laquelle ils s’échinent parfois fort bien à résister. C’est là tout ce qu’on nous demande, rappela doctement Azriel.

— Je regrette, tu minimises l’importance de notre rôle ! s’emporta la fille. Nous sommes des éléments actifs dans le destin de chacun, sans qu’on en comprenne toujours les enjeux, je te l’accorde. Mais non, je pense que notre vie est jalonnée, nous sommes là pour suivre une route et eux aussi ! Nos missions ne doivent rien au hasard. Et puis d’ailleurs, si je suis ici, punie dans ce monde hostile, c’est par ta faute. Et ça, je crains bien que c’était prévu depuis notre premier cri..., tança Aliya, dont le regard assassin refroidit soudain le cou d’Azriel qui jugea opportun, pour sa survie, de détourner l’attention de sa camarade.

— Oh, tiens ! Regarde-les ! Trop adorables pour rester les bras croisés, qu’en dis-tu ?

La perversité d’Aliya la revêtit comme une seconde peau et, de concert, ils se dirigèrent vers un couple d’amoureux aux membres enlacés.

 

L’apprentissage

5- Jour de Vénus

Ils n’arrivaient pas à se décoller. À se quitter. À respirer un autre air que celui expiré par l’autre. À regarder l’horizon au-delà du visage aimé. À vivre pour soi, comme si l’autre inspirait désormais son existence, sans chercher à s’interroger sur le sens de sa vie jusqu’à ce qu’elle croise celle de l’autre.

Après des minutes d’une longueur indécente et des baisers qui défiaient toutes les compétitions en la matière, les lèvres mouillées des amoureux se délièrent pour se séparer, leur corps s’écartant à regret l’un de l’autre pour enfin n’être plus qu’un souvenir, déjà.

Azriel se rua vers la jeune fille énamourée, jouant les tentateurs avec une délectation raffinée. Un homme comme lui, il y a en a plein les rues. Comme celui-ci qui l’observe en la croisant sur le trottoir, mutin ? N’est-il pas séduisant ? Son sourire subtil n’appelle-t-il pas une réponse ? Son corps languide moulé dans ses fripes ? Cette mèche de cheveux cendrés qu’il relève d’une main nonchalante ? La jeune fille sourit, remisant pour quelques instants son amoureux aux oubliettes de son cœur, engageant la conversation avec ce séduisant jeune homme sorti d’on ne sait où. Un pur hasard, sans doute.

Aliya quant à elle, pétillait de sensualité, son sourire dégoulinant de volupté, accoudée à la rambarde d’un pont dans une posture lascive. Tout en son être transpirait le désir et le stupre. L’amoureux transi de tout à l’heure passa sans transition d’une bouche à l’autre, remisant aux oubliettes de son cœur sa bien-aimée. Le destin, très certainement.

 

La séduction

6- Jour de Saturne

— Avant de partir d’ici, on pourrait peut-être essayer d’en savoir encore davantage sur les mœurs humaines... Après tout, c’est essentiel pour notre avenir ! Mieux on les connaîtra et mieux on pourra les harceler et s’amuser ! suggéra Azriel.

— Tiens ? Môssieur le démon a décidé de rentrer dans le rang ? De faire bonne figure pour assurer son avenir et tenter d’éviter de devenir le plus niais des petits démons ? riposta Aliya. Si ça se trouve, ils vont nous abandonner ici pour toujours ! C’est notre fatalité ! On a poussé le bouchon trop loin, la plaisanterie est terminée, nous voilà contraints de payer nos sottises... On a certainement fait l’objet d’une prédiction que nos parents nous ont cachée, honteux ! Horreur : notre avenir est scellé !

Aliya tenait ses joues rougies entre ses mains, ses iris noirs révélant la peur et l’outrage à venir, pétrifiée par cette idée comme le condamné à l’échafaud qui tarde à réaliser que c’est sa mort qu’on vient de prononcer.

— Mais n’importe quoi ! s’agaça Azriel. Combien de fois devrais-je te le répéter : nous venons au monde par accident pour figurer dans un univers qui résulte du pur hasard.

Une expression de surprise modifia sensiblement les traits angoissés de la jeune fille qui cracha :

 — Qu’est-ce qu’il te prend ? Qu’est-ce que c’est que cette façon de s’exprimer ?

Ignorant l’acerbe remarque de sa camarade, la jeune démon haussa ses épaules et poursuivit :

— Je disais donc que nos vies sont déterminées par des combinaisons de gènes entièrement fortuites. Voilà. Et c’est mon père qui me serine ça depuis que je suis tout petit : paraît que ça sème furieusement le doute chez nos amis humains, affirma le blondinet sur un air de confidence, clin d’œil à l’appui.

Aliya écarta les bras, fataliste, les yeux levés vers le ciel.

— Eh bien, si c’est Azriel senior qui le dit, c’est que ça doit être vrai..., soupira la démone, qui n’avait pas envie de débattre une nouvelle fois du déterminisme et du libre arbitre.

— N’empêche, ajouta-t-elle, tu ne pourras pas nier que des évènements arrivent à point nommé, étrangement. Tiens, comme cette boulangerie dont s’extrait un fumet délicieux ! J’ai faim, viens !

— Mais c’est pas vrai !... T’es comme ta mère Bertha : tu ne penses qu’à t’empiffrer ?! s’étonna Azriel.

Sauf que le délicieux fumet et les saveurs alléchantes de la boutique disparurent comme le décor, emportés dans un tourbillon coloré qui se télescopa à des voix venues d’un autre univers. À moins que…

 

L’héritage

7- Jour de Soleil

— Martel ? Martel !... MAR-TEL !!!

Olivier Martel se redressa d’un bond, la marque des spirales de son cahier sur sa joue, un filet de bave s’échappant de ses lèvres molles.

— Bon sang, Martel ! La philosophie ne vous intéresse donc-t-elle pas ? Votre bac non plus, j’imagine...

Gros éclats de rire dans la classe...

— Martel, que pouvez-vous m’apprendre sur le hasard ?

Le destin est une invention humaine pour adoucir les souffrances de l’existence, une façon de contrôler les colères humaines..., semblait lui dire son oreille gauche.

La vie, c’est une loterie ! Tu as de la chance ou tu n’en a pas ! Tant pis ou tant mieux pour toi ! prétendit l’oreille droite.

Hasard ou pas, la sonnerie de midi retentit au grand soulagement d’Olivier Martel et de son estomac : sans doute le signe d’une sacrée veine aujourd’hui.

 

« Nous venons au monde par accident pour figurer dans un univers qui résulte du pur hasard. Nos vies sont déterminées par des combinaisons de gènes entièrement fortuites ». L’homme stochastique de Robert Silverberg.

 

Ou en PDF http://www.phenixweb.info/sites/default/files/Azriel-et-Aliya-_Florence-...

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