CHATEAU-MARTIN Aurélie 01
Interview réalisé par Marine Stengel, blogueuse partenaire, La livrothèque
Depuis combien de temps écrivez-vous ?
Je dirais depuis toujours. J’ai retrouvé il y a peu des histoires ou ébauches d’histoires de mon enfance, des scénarios écrits, pour des livres ou des bds. D’après ma mère, je lisais déjà constamment avant même de savoir lire. J’adorais les livres. Ecrire était, pour moi, une suite logique à mes lectures… Au collège et au lycée, je me suis plongée dans les poèmes, je m’ennuyais en classe. Au lycée, j’ai fait un rêve étrange, dans lequel un elfe est venu me raconter son histoire. Quand je me suis réveillée, j’ai su qu’il faudrait que j’écrive tout cela. J’ai pris des notes, créé, imaginé, développé des personnages, des créatures, des races. Une carte est née dans ma tête, première ébauche du Monde Caché. J’ai mis des années avant de poser sur papier le premier tome de La Triade de la Pierre Sacrée, mon premier roman (en trois tomes). Je ne l’ai achevé qu’après la naissance de mon fils aîné en 2007. Cela faisait 5 ans que je travaillais sur ce projet. La suite a coulé de source. Mon univers était né, tout s’est relié spontanément, les idées naissant au fur et à mesure, sans jamais arrêter d’affluer en moi. Je travaille aujourd’hui toujours dans le même monde, et la totalité des livres que j’ai écrits sont reliés d’une manière ou d’une autre.
Est-ce votre premier livre, combien en avez-vous écrit ?
Le Loup Gris est un livre un peu particulier. Ce n’est pas le premier que j’ai écrit, j’ai commencé par la trilogie de La Triade de la Pierre Sacrée, roman axé jeunesse. Mais Le Loup Gris est le tout début de l’histoire. Un hommage au personnage de Tracy, développé dans la Triade, et pour lequel j’ai eu un coup de cœur. En travaillant sur le tome III de La Triade, j’ai angoissé en me disant que je n’aurais sans doute plus rien à écrire après cela, cette série ayant été le fruit de nombreuses années de réflexion et de travail. Je n’avais pas encore écrit le dernier chapitre que déjà, l’histoire de Tracy est venue me titiller les méninges… Après cela, je me suis rendue compte que mes personnages avaient beaucoup à dire à travers moi, et que j’étais liée à eux pour quelques années, c’est le moins qu’on puisse dire… Aujourd’hui, j’en suis à 32 romans publiés (en ebook principalement), et j’en ai encore en cours, en construction, ou achevés mais pas encore en ligne.
Quels sont vos auteurs préférés et vos genres littéraires ?
Je suis friande de fantasy. En fait, pour tout dire, je ne lis que cela. J’ai un grand besoin de m’évader de ce monde, et la fantasy est ce qui se prête le mieux, à mes yeux, à une fuite de quelques heures dans un ailleurs magique. Pour les auteurs, je pense en premier lieu à Terry Pratchett. C’est J.R.R. Tolkien qui m’a fait tomber amoureuse de la fantasy, mais Terry Pratchett est très certainement mon auteur favori, une source d’inspiration intarissable, pour un grand homme au parcours exceptionnel. Je suis également une grande fan de J.K. Rowling, et j’ai adoré les livres de Jean-Louis Fetjaine (un Français, pour une fois !). Récemment, j’ai découvert une jeune auteure, Audrey Alwett, qui vient de signer son premier livre (Les Poisons de Katharz), je viens de le lire mais je ne peux pas ne pas le citer tant ce romain fut un coup de cœur immense. J’adore aussi les bds, toujours style fantasy, et pour ne citer que quelques-uns de mes auteurs favoris, je dirais Jean-Luc Istin, qui m’a fait rêver avec sa série « Merlin », Arleston et ses Lanfeust et autres séries, Pierre Sombral et ses Légendaires, Alain Ayrolles et son humour décalé et Enrico Marini et son Scorpion. Je n’oublie pas, au passage, l’Enchanteur, seul livre de Barjavel que j’ai apprécié, mais qui fut une véritable révélation pour moi, et les auteurs des 12e et 13e siècle comme Robert de Boron ou Chrétien de Troyes qui ont forgé en partie mon univers, ainsi que Christian Jacq, égyptologue connu pour ses fabuleux romans, qui ont bercé mon adolescence, et J.M. Auel et ses Enfants de la Terre.
Avez-vous d’autres projets dans l’immédiat ?
Disons que je travaille pour l’instant sur trois séries en parallèle. Ça n’était pas prévu, mais l’inspiration est arrivée en force, et j’apprends à gérer l’écriture de plusieurs romans en même temps. Les histoires se croisant, c’est plutôt enrichissant, et cela me permet de découvrir des parties de la grande fresque que je retrace, que je n’aurais peut-être pas perçues si j’étais restée concentrée sur une seule série. Je travaille sur des spin off de ma série principale actuelle (Les Fils du Vent), comme Enfants des Fées dont les 11 tomes forment un pont de cinq ans entre deux tomes des Fils du Vent. J’ai aussi une autre idée de série qui n’a pas encore fini d’émerger, qui mêlera époque chevaleresque et légendes grecques. Je pense que j’ai encore du travail pour quelques années. ;-)
Pensez-vous/Voulez-vous vous faire éditer un jour ou vous tenez à vous auto-éditer pour garder plus de libertés sur vos écrits ?
J’aime l’auto-édition. C’est une réelle liberté, je n’ai de comptes à rendre à personne d’autre qu’à mes lecteurs. J’ai envisagé de travailler avec un éditeur pour une partie livre papier, j’y réfléchis, car je dois avouer que je n’ai ni les moyens, ni l’énergie de m’attaquer à cette partie-là. L’univers du numérique facilite grandement l’auto-édition… Il est donc possible qu’un jour je cherche un contrat qui me permette de garder mes droits et ma liberté sur le numérique mais me permette de contenter aussi les lecteurs de livres papier, encore que, j’ignore si un tel compromis existe…
Où puisez-vous toutes ces idées ? D’où vient l’inspiration ?
Mon univers inspirationnel est très vaste. Livres, BDs, films, dessins animés, contes traditionnels, mythes et légendes… Je suis pétrie de fantasy et de contes depuis ma plus tendre enfance, et je ne perçois que rarement les mécanismes qui s’enclenchent chez moi et me donnent très certainement accès à des savoirs engrangés. A la base, je me suis beaucoup inspirée de l’univers tolkiennien pour créer le mien, y mêlant le monde plus moderne de la sorcellerie. J’ai ensuite largement débordé d’une vision tolkiennienne du monde pour créer à partir de cet univers qui, me semble-t-il, est une fabuleuse base d’inspiration.
Il me semble généralement que l’inspiration me vient de mes personnages eux-mêmes. Ça paraît peut-être fou, mais ce sont eux qui me racontent leurs histoires, eux qui dévient des scénarios prévus et se créent une histoire par le biais de ma plume. Je râle souvent sur eux, parce qu’ils sont indisciplinés et créent des imprévus qui m’obligent à réviser mes scénarios. En fait, j’ai arrêté de trop prévoir à l’avance, parce que ça ne se passe jamais comme je m’y attends… Par contre, en parallèle, j’aime explorer des univers qui tiennent plus des légendes de notre monde. J’ai commencé par introduire Merlhyn, et ensuite beaucoup travaillé sur les légendes de la table ronde. Il y a des dieux vikings chez les nains, des légendes grecques, égyptiennes, arabes, mongoles… Mon univers s’est transformé en un vaste panel de cultures, immense, très riche et parfois inattendu (même pour moi).
Comment procédez-vous pour écrire un livre ?
En général, je commence par en « rêver ». Ce sont le plus souvent des rêveries éveillées, des histoires qui émergent dans ma tête. A partir de là, je note sur papier (numérique) tout ce qui me passe par la tête. Les idées naissant le plus souvent en plein milieu de l’écriture d’un autre livre, cela me permet de prendre le temps de faire de l’ordre dans la foule d’idées qui enfle chaque jour en moi. Et puis, ça devient vital de poser tout cela sur papier, à un moment donné. Mes premiers romans, je les ai écrits sur des cahiers, maintenant je passe directement par l’ordinateur car c’est plus simple, et cela évite d’avoir à recopier. Quand je travaille, j’ouvre mon fichier « idées » et je démarre l’écriture. En général, un plan potentiel se forme après le début de l’écriture d’un livre, parfois avant, cela dépend de mon inspiration. Le plus souvent ce n’est qu’une suite d’idées qui a une logique dans ma tête. Pour Le Loup Gris, je n’ai jamais rien posé sur papier, je me suis laissé guider par l’histoire et les héros, pas à pas. Pour les séries, je suis obligée de vérifier régulièrement la cohérence, surtout au niveau temporel, parce qu’au niveau des scénarios, je ne sais pas pourquoi, ça tient toujours bien la route. C’est pour cela que j’ai souvent l’impression de ne faire qu’interpréter une histoire réelle, qui s’est déjà produite quelque part, dans un ailleurs bien mystérieux…
J’écris presque tous les jours, entre une demi-heure quand je n’ai pas le temps (j’ai trois enfants à la maison) et dix heures les jours où l’on ne peut plus m’arrêter. Mon mari trouve que je suis un bourreau de travail et que je bosse beaucoup trop ! ;-) Mais c’est un besoin, une pulsion insupportable, si je n’écris pas plusieurs jours d’affilée, je suis très nerveuse, et malheureuse. Je me mets généralement à écrire n’importe quoi n’importe où, quand je ne peux pas avoir accès à mon ordinateur pour poser toutes mes histoires sur papier… Il y a tout de même des jours où je ne suis pas motivée, mais dans ces cas-là, j’ouvre tout de même mon fichier à idées. La plupart du temps, j’arrive à me remettre dedans, même si parfois j’écris juste une page avant de m’arrêter. L’important, pour moi, est de ne pas rester coincée sur un passage plus compliqué à écrire, moins motivant. Si je n’y arrive vraiment pas, je retravaille mes idées, je rêve, je crée.
Quand vous commencez à écrire une histoire, la connaissez-vous en entier ou bien improvisez-vous au fur et à mesure ?
Tout dépend de l’histoire. En général, je connais la chute, et je sais quel est l’axe que vont prendre la plupart des personnages. Le tout faisant partie d’une plus grande image, il est rare que je n’ai pas envisagé la fin, même s’il m’arrive d’avoir des surprises sur la façon dont les événements se produiront finalement. Par contre, je ne connais jamais tous les éléments de l’histoire. Je me laisse porter par les personnages, et comme ils sont souvent très indisciplinés, j’ai le droit à la primeur de plein de surprises !!
Combien de temps mettez-vous pour écrire un livre ?
C’est évidemment très dépendant de la taille du livre. J’ai des séries constituées de livres très épais, comme Le Loup Gris, et dans ces conditions, je mets entre un et deux mois à boucler l’écriture. Dans l’ensemble, ces livres sont relus et corrigés au bout de deux mois, parfois trois, rarement plus. J’ai aussi des séries avec des livres très courts, sur le modèle du format de la série télé (le but étant de permettre l’accès à la lecture à tous, y compris à ceux qui ont très peu de temps et n’ont pas envie de démarrer de gros romans. Et puis ça donne une dynamique que je trouve intéressante). Ceux-là, je mets une, deux, trois semaines à les écrire, selon le temps qui m’est imparti et l’inspiration que j’ai sur le moment. Ils sortent un mois/un mois et demi après le début de l’écriture.
Vous écrivez plusieurs heures par jour ?
Comme je le disais plus haut, entre ½ heure et 10 heures dans une journée. J’écris presque tous les jours.
Où écrivez-vous ? Avez-vous besoin d’une certaine ambiance, de conditions de travail particulières ?
J’écris chez moi, mon mari m’a créé un petit bureau dans le salon, devant la baie vitrée. J’habite dans un endroit privilégié, en pleine forêt, j’ai une vue très agréable, en été la baie vitrée est ouverte et j’ai droit au chant des oiseaux. Evidemment, j’ai aussi le droit au chant de mes enfants, qui passent leur temps à courir partout (ils font l’école à la maison, donc ils sont tout le temps là, et il y a souvent des copains à eux à la maison aussi). A vivre un quotidien entouré d’enfants, et donc de bruit, j’ai développé l’habileté à me mettre dans une bulle en un temps record ! ;-) C’est incroyable ce qu’un esprit humain est capable de réaliser. Je réponds à 2000 interactions par jour, demandes, pleurs, besoins, questions, et pourtant, cela n’affecte généralement pas du tout mon écriture. A part dans certains moments sensibles de l’histoire où je demande à mes enfants de ne me déranger qu’en cas de grands besoins, je vis ma vie de maman en parallèle. L’habitude m’a donné une capacité incroyable à me concentrer en toutes circonstances, quels que soient les bruits et l’agitation autour de moi. C’est un grand avantage, qui me permet de pouvoir écrire en toutes conditions. Seul bémol : je me sens beaucoup plus inspirée à proximité de la nature qu’en ville.
Avez-vous été inspirée par des livres comme Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, le Hobbit ?
Je suis entrée dans l’univers de la fantasy grâce au Hobbit. Je l’ai dévoré, et j’ai ensuite lu le Seigneur des Anneaux. Des livres qui m’ont marquée, et évidemment, inspirée. Harry Potter, je l’ai découvert bien plus tard, mais j’ai été marquée par cette lecture également. Je ne voulais pas lire ces romans parce qu’ils étaient à la mode, et quand je suis tombée dedans, j’ai été surprise par la qualité d’écriture autant que par l’histoire. L’originalité de cet univers m’a beaucoup inspirée aussi, oui.
Quelle est la phase la plus difficile, dans l’écriture d’un roman ?
Je dirais que ce qui me semble le plus difficile, c’est de « tuer » un personnage. En tant qu’auteur, on est très attaché à certains personnages (tout comme le lecteur). Mettre fin à l’histoire de l’un d’eux, savoir qu’on n’écrira plus jamais ses aventures, c’est terrible. Il m’arrive de devoir m’arrêter d’écrire pour pleurer, et ensuite, de relire la scène vingt fois, en boucle. Dire au revoir à un personnage qui nous a soufflé son histoire à l’oreille et nous a accompagné pendant des mois ou des années, c’est comme perdre un ami proche, ou presque. Les phrases finales sont terribles, aussi, quand on achève une histoire et qu’on sait que c’est fini. Se plonger des centaines d’heures dans un livre, une série, et la voir s’achever, c’est une sacrée aventure. Ça m’est arrivé de déprimer quelques jours à la fin d’un livre, sans avoir envie de reprendre tout de suite l’écriture d’un autre roman…
A qui confiez-vous votre manuscrit en premier ?
Mon mari est mon premier lecteur. Il m’aide et n’hésite jamais à poser des critiques constructives. C’est d’ailleurs aussi lui qui s’occupe de la mise en page et de la mise en ligne, lui qui m’a aidée à améliorer et numériser la carte du Monde Caché. Comme il aime beaucoup mes écrits, il est d’un grand soutien pour moi.
Comment vous est venue l’idée de construire un monde aussi particulier et pourquoi l’avoir appelé le Loup Gris ?
Mon monde dépasse de beaucoup Le Loup Gris ;-) C’est un univers immense, en perpétuelle construction. A la base, comme je le racontais, j’ai reçu la « visite » d’un personnage (secondaire de La Triade de la Pierre Sacrée) en rêve, et la première partie du Monde Caché est née. Celle que l’on retrouve dans le Loup Gris, justement. A l’est, il y avait les « Terres Lointaines », que personne ne s’était amusé à explorer. Un jour, certains de mes personnages se sont dit qu’il fallait aller voir ce qu’il y avait plus loin. La carte finale du Monde Caché s’est créée au fur et à mesure des explorations de ces différents personnages. Des aventures et des guerres ont changé la carte, aussi. Bref, c’est une longue histoire, qui n’est peut-être même pas encore achevée… On a aujourd’hui accès à la totalité de la carte, mais qui sait quelles surprises cet univers nous garde encore au chaud ?
Pour Le Loup Gris, l’idée est venue du père de Tracy. C’était, selon Malin, un « loup solitaire ». Tracy est un personnage un peu trouble, avec des côtés dépressifs, une histoire tragique. Je l’ai toujours perçu en nuances de gris (sans jeu de mots par rapport à Cinquante nuances de Grey, bien sûr), comme ses yeux couleur cendre, si profonds, et si touchants.
Lien vers l'article du blog : http://lalivrothequeblog.weebly.com/aureacutelie-chateaux-martin.html