Aucune Terre n’est promise
Ce n’est pas, comme il paraîtrait au premier abord, une uchronie qui raconterait comment, dans une autre histoire, l’État juif qui aurait été créé en Afrique, sur un territoire coincé entre l’Ouganda et le Kenya, aurait pu devenir un territoire aussi conflictuel que l’Israël de notre ligne historique. C’est l’histoire de trois personnages, le héros, Liot Tirosh, qui est un avatar de l’auteur, et deux autres venus de lignes différentes, qui se retrouvent sur la ligne temporelle du premier, celle où les Juifs ont créé un pays appelé, curieusement, Palestina et où semblent apparaître des anomalies qui mettent en danger la structure même de ce multivers dont, par ailleurs, ne nous sont présentées de façon plus ou moins détaillée que quatre « réalités » centrées autour des états juifs de ces univers.
Parce que le livre est, d’abord, une réflexion sur le destin du « peuple juif » et différentes réalités plus ou moins tragiques à son sujet, et sur l’identité de ce « peuple ». Dans l’univers du héros comme dans le nôtre, ce peuple soit passé du statut de victime générale, de « bouc émissaire » des crimes des autres peuples à celui de colonisateur en conflit avec ses propres victimes, pose une question. Les autres univers, les autres « séphiroth » (livres en hébreu) précisent cette réflexion : y a-t-il une « terre promise » ?
Mais il y a aussi l’aventure de ceux qui ont découvert le multivers, le nombre des « séphiroth », et celui qui prétend les soumettre à sa volonté, contre lequel doivent agir le narrateur, Bloom, qui surveille la Palestina, et une femme, Nour, venue de Ursalim, un univers « post-apo » menacé lui aussi par le complot contre Tirosh. Les actions des trois personnages, Tirosh présenté à la troisième personne par Bloom, qui n’arrête pas de répéter la phrase la plus énervante possible d’un roman, « je ne savais pas alors que... », Bloom qui parle à la première personne et Nour qu’il présente à la seconde, s’entremêlent. Parce que l’action principale reste la menace contre le multivers, menace dont Tirosh est le centre...
Il y a donc deux niveaux de lecture du livre : la réflexion sur le, ou plutôt les décors de l’action et l’idée de « terre promise », et l’histoire et le destin du multivers. Ces deux niveaux se répondent, sans jamais s’opposer ou se faire mutuellement disparaître.
Un « double » roman d’autant plus réussi qu’il reste court, rapide, vivant. Et qui ne prétend pas résoudre les questions qu’il ouvre, ni la question politique, ni la question (méta?)physique...
Aucune Terre n’est promise, de Lavie Tidhar, traduit par Julien Bétan, Mu, 2021, 259 p., couverture de Kevin Deneufchatel, 21€, ISBN 978-2-35406-799-9