Nécronomicon (Le)
La littérature de l’Imaginaire est celle aussi qui, parfois, cible les textes oscillant entre le réel et l’imaginé. Ainsi, certaines oeuvres se situent à la lisière de la possibilité d’existence. Le Necronomicon, oeuvre mythique, existe-t-il vraiment ? La question paraîtra étrange aux aficionados de Lovecraft, qui savent, depuis toujours. Ainsi que pour tant d’autres livres ’interdits’ inventés par Howard, Smith ou Bloch. Mais la question pourrait ne pas sembler étrange à de jeunes et nouveaux lecteurs, ignorant cette longue tradition de création d’ouvrages occultes destinés à renforcer l’impression de vérité.
Tout l’art de la présente édition du Necronomicon réside précisément dans la culture de cette hésitation : j’en ai eu peur moi-même... Formellement, la réalisation est magnifique, et l’ouvrage, relié à l’ancienne, fait plaisir à voir. Le texte lui-même ne comporte que 44 pages sur... 374. Tout le reste n’est qu’avertissement, avant-propos, introduction, commentaires ou postface. Parmi ces contributions, celle de Colin Wilson, l’auteur des célèbres The Mind Parasites et ami de Derleth, est évidemment passionnante : elle arpente l’inconscient lovecraftien, la ’Golden Dawn’, la personnalité d’Arthur Machen et aborde la figure emblématique du père, Winfield Lovecraft, disparu bien tôt, et qui aurait eu des liens occultistes. Liens qu’approfondit Robert Turner, proposant également un beau panthéon des « Vénérables Anciens », d’Azatoth à Shub-Niggurath. David Langford tente ensuite de décrypter, par traitement informatique, un manuscrit de John Dee, le favori de la grande Elisabeth d’Angleterre, le ’Liber Mysteriorum Sextus et Sanctus’.
En appendice, un petit souvenir de Lyon Sprague de Camp sur la jeunesse de Lovecraft, un fort intéressant essai d’Angela Carter sur les espaces de Nouvelle-Angleterre ayant pu influencer le ’reclus de Providence’, et une jolie postface-pirouette de Sa Sainteté Joseph Altairac, pape français du lovecratisme aigu. Edité à l’origine par Neville Spearman en 1978, voici un livre qui enchantera tout lovecraftien par sa superbe présentation, la publication des véritables incantations de l’arabe dément Al-Hazred, et surtout par les commentaires plus qu’autorisés : ceux-ci feront basculer le lecteur dans le doute, le trouble ensuite, la terreur enfin. A mettre à l’Index, absolument, car très impie : oui, le Necronomicon existe, maintenant.
Abdul al-HAZRED, Le Necronomicon, édité originellement par Neville Spearman, traduit de l’anglais par Françoise Rey-Sens, illustrations de Gavin Stamp et Robert Turner, Le Pré aux Clercs, 2008, 347 p.