41ème Convention nationale française de science-fiction
N'ayant pu assister à la précédente convention, tenue à Aubenas, je me réjouissais particulièrement de celle-ci, d'autant plus que a) j'y allais avec mon épouse Véronique, 2) elle avait lieu à Amiens, pas loin de chez moi, et 3) elle était consacrée à Jules Verne.
Jeudi 17 juillet
Nous sommes arrivés tard, ratant de peu l'intervention du professeur Yan Wu sur Jules Verne et la SF chinoise. Mais j'ai eu, plus tard, l'occasion de m'entretenir avec cet homme charmant. Le site de la convention est fort calme et reposant, cloître d'une abbaye disparue, reconverti en centre culturel. J'apprends que Dominique Warfa, accidenté, ne pourra venir demain. Dommage, car il présentait Dystopie belge et psychiatrie, thématique intéressante. Le soir était montée la première de Good Bye Mr Verne, pièce de Pierre Gévart. Comme elle était tout de même redonnée le samedi, nous avons préféré assister au son et lumière sur le parvis de la célèbre cathédrale Notre-Dame. Après un charmant prélude tourné par un organiste de Barbarie, qui ravit les enfants, le public assez nombreux a pu regarder la façade illuminée : chaque statue était colorée individuellement. Nous étions soudain transportés au XIIIè siècle, un très beau moment magique ! Fond musical : Daphnis et Chloé de Ravel, 5ème de Mahler et Miserere d'Allegri. Mais qu'est-ce qu'Amiens est lugubre, le soir, à 23h30, lors du retour à l'hôtel...
Vendredi 18 juillet
Grosse journée là, qui comprenait les deux moments forts de l'événement. Tout d'abord l'éblouissante conférence d'Ugo Bellagamba intitulée De Jules Verne à Hugo Gernsback, l'enchantement de l'objet technique des deux côtés de l'Atlantique. Après une rapide introduction dédiée à l'évolution des techniques (balistique, camera obscura, chemin de fer), l'écrivain se concentre sur l'entreprise Verne-Hetzel des « Voyages extraordinaires » : faire accepter le monde industrialisé par le lecteur, le lui faire comprendre plus qu'anticiper. L'objet technique est au centre de leur création. Après une parenthèse relative à une nouvelle de Rudyard Kipling, Le navire qui trouva sa voix, dans laquelle l'objet technique acquiert une conscience (l'intelligence artificielle ?), Bellagamba saute en 1926 pour retrouver Hugo Gernsback aux USA et son pulp Amazing stories. Comme Verne, le Luxembourgeois, convaincu du développement technique, veut l'apprendre aux jeunes. Cette fascination de l'objet disparaîtra progressivement en SF pour céder la place aux problèmes sociétaux, et ce n'est qu'à l'avènement du « cyberpunk » qu'elle redeviendra centrale avec l'apparition d'internet et des réseaux sociaux. Une conférence brillante, vous dis-je.
Suivirent les mille et un jeux de mots du groupe « Remparts », toujours aussi drôles et jouissifs, orchestrés par Raymond Milési et Jean-Jacques Regnier (« Qui était Lucien-Isidore Verne ? »), puis une intervention plus sérieuse de Joseph Altairac consacrée à la guerre sous-marine et au Nautilus. Après ces longs moments de claustration, il était temps de sortir : nous voilà partis pour la visite de la maison de Jules Verne, convertie en musée, et attraction numéro 2 d'Amiens après la cathédrale. Les participants y allaient par groupe de vingt, de sorte que la visite se déroulait agréablement, sous la férule d'un guide expert et spirituel. Verne y résida de 1882 à 1900 et il y écrivit la plupart des grands romans de sa maturité. C'est un superbe hôtel de maître, au mobilier luxueux, et l'on y monte par un escalier en colimaçon qui nous mène de merveilles en merveilles, du jardin d'hiver au fantomatique grenier. Une salle recrée même la cabine de pilotage de son navire, le Saint-Michel. Autre grand moment de cette convention. Ensuite, la soirée, préparée par Philippe Ethuin, amoureux de la proto SF, s'est révélée tout aussi passionnante : nous avons pu visionner une dizaine de films de Méliès, de L'homme à la tête de caoutchouc (1901) à A la conquête du pôle (1912), en passant bien sûr par Le voyage dans la Lune de 1902. Certes, ils ne durent que quelques minutes, mais quelle émotion de revoir ces chefs-d’œuvre immortels !
Samedi 19 juillet
Alors là, le matin, je me suis livré à mon activité favorite lors de conventions : la papote et le chinage. Revoir ces participants que l'on ne rencontre qu'une fois l'an, échanger les derniers potins et les coups de cœur de lecture, parcourir les stands de vieilles revues ou de romans introuvables : le bonheur. Revoir Laurent Whale et son chapeau, Georges Bormand et sa barbe divine, Joseph Altairac et sa chemise noire, Bernard Henninger et sa bonne humeur, Sylvie Lainé et son charme fou, la famille le Bussy et Anne Smulders (les Belges !), etc etc. J'ai découvert aussi un opuscule intitulé Béla Bartok contre la veuve noire du Führer, premier d'une série de cinq, dont je vous entretiendrai bientôt. Joie de mélomane SF. Ce genre de promenade entre les stands (sans oublier le bar !), est consubstantiel à toute convention qui se respecte. Bon. Redevenons sérieux. A15 heures, nous filons à la bibliothèque municipale d'Amiens où nous attendait une jolie exposition sur la BD culte de Christin et Mézières « Valérian et Laureline ». Très bien faite, et qui donne envie de tout relire, et de tout avoir (il m'en manque quatre, bisque bisque rage). Une salle attenante présentait deux vitrines Albert Robida, le Jules Verne de l'illustration (?), intéressantes. Retour sur le site de la convention pour assister au débat sur la possibilité d'une convention SF mondiale en France, ceci à la lumière de l'imminente WorldCon de Londres (LonCon 3), qui se tient mi-août. La conclusion, attendue, fut négative, eu égard aux questions linguistiques, mais surtout logistiques et financières. Nous étions un peu plus de cent à Amiens, à Londres ils seront trois mille, au moins... Là-dessus, il était temps d'aller voir la pièce de Pierre Gévart, créée jeudi à la maison de Jules Verne et redonnée sur le site, dans le très confortable amphithéâtre intérieur qui servait aux conférences et débats. La pièce met Jules Verne en scène, son épouse et son fils Michel, qui reçoivent H.G. Wells à souper. Rencontre qui n'eut jamais lieu en réalité, comme chacun le sait. Le texte, lu et non joué (les acteurs avaient le livret en main) est brillant et percutant, rivalisant d'humour et de finesse. Pierre Gévart se réservait le rôle central, bien sûr. La fin, à propos du Secret de Wilhelm Storitz, est joliment amenée. Avant le grand dîner de gala, attention, événement important et incontournable, la remise des prix. Entre en scène ici Joseph Altairac, qui a l'habitude d'officier pour ces instants académiques. Pas de chance ! Un orage terrible interrompt la cérémonie, à peine commencée. Le pauvre Joseph s'égosille, Pierre Gévart hurle à tous vents, personne n'entend et tous les participants, trempés, refluent sous les arcades. Moment épique dont on se souviendra ! Voici quand même les prix :
- prix Rosny Aîné (ex aequo): Rainbow Warrior d'Ayerdhal (Au Diable Vauvert)
- prix Rosny Aîné (ex aequo) : Anamnèse de Lady Star de Laurent Kloetzer (Denoël).
Vu les conditions climatologiques, la vente aux enchères traditionnelle se tint aussi dans l'amphithéâtre : petit moment d'émotion, Georges Pierru, pas si éternel que ça, hélas, annonça qu'il passait le relais à Laurent Whale, pour la prochaine convention. A ce propos, celle-ci se tiendra en Avignon, à Entraigues-sur-la-Sorgue, et, en 2016, à Bordeaux.
Tout le monde rentre, heureux mais très mouillé.
Dimanche 20 et lundi 21 juillet
Dernière promenade au cloître Dewailly, pas tout à fait déserté. Adieux éternels jusqu'en Avignon, quoi. Faudra encore que je nous inscrive, Véronique et moi, nom d'une pipe d'airain, on a oublié. Nous rentrons dans notre mère patrie, en son jour de fête par ailleurs. Petite halte à Albert, bled perdu, terrible, pour prendre de l'essence, puis escale à Lille, pour fureter au ... Furet du Nord, bien sûr, où je trouve le numéro de Bifrost spécial Poul Anderson et un beau coffret d'opéras de Reynaldo Hahn. Route calme après ce week-end si chargé d'émotions et de découvertes de tous genres. Ce fut ma dixième convention ? Oui, et alors ? On ne s'en lasse pas. Comme je le décrétais après celle de Semoy : c'est cela, la communauté SF.
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